
BAB: Comment avez-vous entamé votre carrière de diplomate?
Bouchra Boudchiche: Après un baccalauréat en philosophie et lettres décroché au lycée Descartes de Rabat, j’ai intégré l’École nationale d’administration publique sur concours. J’avais une idée claire: poursuivre la section Diplomatie de ladite école.
Devenir diplomate était une passion depuis l’âge de 15 ans. J’ai toujours eu un attrait et une curiosité pour les modes de fonctionnement humains au sein des différentes cultures comme j’étais également intéressée par les relations internationales qui sont avant tout des relations humaines.
Étant la quatrième d’une fratrie de cinq enfants, l’exercice de la négociation a toujours fait partie de mon quotidien. En prenant de l’âge, je me rendais compte qu’il en était de même pour les relations internationales. Tout peut s’obtenir à travers le dialogue et la négociation. Toute négociation requiert de la patience, une capacité de communication, un degré d’empathie et surtout de la persévérance.
J’ai donc intégré le ministère des Affaires étrangères avec conviction, passion et détermination en 1990. J’ai rejoint la Direction des Affaires européennes et américaines, où curieusement ma hiérarchie m’avait chargée de dossiers des pays d’Amérique centrale. Peut-être un clin d’œil du destin ?
Parlez-nous de votre parcours professionnel?
Tout mon parcours professionnel m’a conduit principalement dans les Directions Europe et Amérique. La particularité de mon parcours est une alternance entre l’administration centrale et l’expérience du terrain en tant qu’épouse d’un diplomate de carrière, senior dans la profession. J’ai eu le privilège d’être au côté d’un Chargé d’affaires et plus tard ambassadeur, avec tout ce que cela comporte comme responsabilités et engagements.
Étant de la profession, motivée, curieuse intellectuellement, assoiffée d’apprentissage, j’ai assumé ce rôle très activement, participant et organisant des activités culturelles, sociales et académiques. Sur ce dernier point, je tiens à préciser que lorsque mon époux était ambassadeur de
SM le Roi en République du Chili, après avoir acquis une maitrise suffisante de la langue espagnole dans un Institut spécialisé, j’ai intégré les prestigieuses universités latino-américaines Universidad de Chile et Universidad Catolica Pontifical du Chili pour poursuivre des études en Relations internationales et sciences politiques, où j’ai pu consolider des connaissances avancées sur les systèmes politiques du monde ibéro-américain. A la fin de mon cursus académique au Chili, j’ai défendu une thèse pour l’obtention d’un master avec pour thématique: “Le Maroc et l’Espagne dans la politique de sécurité en Méditerranée” publiée ensuite en tant qu’ouvrage par l’institut Hispano-Lusophone de l’Université MohammedV, et financé par l’Agence espagnole de coopération internationale.
Je voudrais signaler ici, que le rôle d’épouse d’ambassadeur que j’ai assumé avec responsabilité et dynamisme, m’a valu de recevoir une décoration d’Officier de l’ordre du Mérite, de la Présidente du Chili, Michelle Bachelet, pour avoir contribué à consolider les relations bilatérales entre le Maroc et le Chili. C’était la première fois que les autorités chiliennes accordent une telle décoration à l’épouse d’un ambassadeur.
Je tiens à relever un événement marquant dans mon parcours. Celui d’avoir contribué à la préparation et au déroulement de la visite de Sa Majesté le Roi Mohammed VI au Chili, en décembre 2004. Cet événement a été pour moi très riche en apprentissage diplomatique.

Y a-t-il des défis à relever en particulier pour les femmes dans la diplomatie?
Durant une partie de mon parcours professionnel, le fait que mon conjoint avait de plus importantes responsabilités, me positionnait toujours en second plan, même si pour moi cela a été très bénéfique car je me nourrissais de ses expériences (des succès et des difficultés qu’il affrontait). Toutefois, lorsque mon conjoint a pris sa retraite, en revenant au Ministère et toujours convaincue de faire ma propre carrière, le premier défi était pour moi de dissocier mon identité professionnelle de celle d’épouse de diplomate. Passer de Mme Boucetta à Mme Bouchra Boudchiche a été un défi surmonté, grâce à mes efforts, ma persévérance et la volonté de l’administration de valoriser l’élément féminin notamment dans la diplomatie.
Dans l’exercice de ma profession, j’ai toujours montré de la détermination et de la persévérance, et surtout le désir d’apprendre de mes collègues professionnels. Ici, je voudrais rendre un hommage à notre ministre des Affaires étrangères, de la Coopération et des Marocains résidant à l’étranger, Nasser Bourita, que j’ai côtoyé plusieurs années, travaillant directement sous sa direction, que je considère comme une véritable école de diplomatie, sous l’orientation éclairée de Sa Majesté le Roi.
Votre parcours a été couronné par votre nomination comme ambassadeur du Maroc au Panama. Parlez-nous de cette nouvelle phase de votre carrière?
Sa Majesté le Roi a évoqué, dans plusieurs discours, “la nécessité de promouvoir le rôle des femmes et d’ouvrir les perspectives de leur participation dans les centres de prise de décision et dans les institutions représentatives”.
Ma nomination par Sa Majesté le Roi au Panama, et la confiance Royale me motivent à mettre au service de mon pays, tout le bagage théorique et pratique acquis durant toutes les années de mon parcours professionnel pour atteindre les objectifs de ma mission.
Le Panama est pour le Maroc, un pays de grand intérêt, qui toutefois présente de grands défis, par le fait des divergences sur la question nationale. Ces divergences résultent d’une décision prise lors d’un contexte particulier au Panama, dans les années 70 -80 avec un manque de connaissances de la région et des tenants et aboutissants de la question du Sahara marocain.
En tant qu’ambassadeur de Sa Majesté, afin de défendre les intérêts de mon pays, ma mission consiste à positionner mon pays dans la vie diplomatique, culturelle et sociale panaméenne, sachant que l’ouverture de l’ambassade date seulement de 2014, avec nomination d’un ambassadeur depuis 2016 et une pandémie qui a paralysé l’activité durant deux à trois bonnes années.
J’oeuvre aussi pour faire connaître l’histoire de notre pays, les réformes adoptées au Maroc depuis l’avènement de Sa Majesté Le Roi et les avancées qui font de notre pays une puissance émergente.
Afin de mieux aborder et expliquer le conflit autour du Sahara marocain, le fait de recevoir une cheffe de mission femme avec rang d’ambassadeure, déconstruit les stéréotypes et les perceptions erronées sur la femme au Maroc, pays africain et arabo-musulman et remet aussi en question les préjugés et la méconnaissance de l’histoire de notre pays sur la légitimité de ses intérêts et de ses causes nationales.
La convergence de l’apport personnel, la bonne connaissance du pays d’accréditation, les analyses géopolitiques internationales et la connaissance des codes de communication et des modèles d’interaction personnels et relationnels propres à la société panaméenne, m’ont sans aucun doute ouvert des portes et facilité la transmission des messages politiques, qu’il aurait été plus difficile de véhiculer sans ces atouts.
L’intuition, la sensibilité, l’empathie particulière au genre féminin facilite certainement l’acceptation, et l’inclusion dans les cercles les plus fermés de la Société.

Y a-t-il, selon vous, des défis ou particularités pour la femme en diplomatie?
Plusieurs choses me viennent à l’esprit: La résistance de certains milieux mus par des perceptions figées sur le rôle sociétal de la femme dans le monde actuel.
L’auto-limitation des femmes elles-mêmes ou peut être les rivalités sournoises mal fondées ou encore le choix personnel de certaines femmes à être mère et épouse seulement, rappelant que le rôle de l’épouse d’un diplomate lui confère de grandes responsabilités et des obligations. S’il est généralement considéré normal pour un homme diplomate d’être accompagné de sa famille, il n’en est pas de même pour la femme diplomate, elle devra d’abord avoir le consentement du conjoint.
Comment concilier famille et travail, sachant que la diplomate est amenée, dans le cadre de sa mission de représentation, à effectuer des activités professionnelles qui l’éloignent souvent du foyer. Ceci requiert toujours l’appui et la compréhension de la famille.
Lorsque la femme diplomate assume une responsabilité en poste à l’étranger, elle devra non seulement être en charge du bon fonctionnement et la gestion de l’ambassade et de la mission à accomplir mais également être très attentive au bon fonctionnement de la Résidence notamment à l’organisation des réceptions et dîners qu’elle offrira dans le cadre de la représentation, contrairement à l’homme diplomate qui se contentera d’informer qu’un dîner ou une réception devra être organisé tel ou tel jour.
L’expérience marocaine, tant pour ce qui est des ambassadrices ou consules, a montré jusque-là que les femmes ont accompli leurs missions avec beaucoup de succès. Il faudra certainement encourager davantage les candidatures féminines. A compétence, intégrité et qualités égales, le genre ne devrait pas être prépondérant dans les nominations.
La fonction de diplomate requiert de la passion, du dévouement et du patriotisme, au-delà de la simple qualité de fonctionnaire d’une administration publique. Rien ne peut me procurer autant la grande fierté que je ressens, dérivée de la Confiance Royale et de la responsabilité personnelle, que celle d’être chargée, dans un pays aussi sensible dans l’histoire de notre Cause nationale, de représenter Sa Majesté le Roi, que Dieu L’Assiste et Le Protège.