
Depuis plus d’une décennie, les maladies cardio-vasculaires sont la première cause de mortalité à l’échelle mondiale, représentant 16 % de l’ensemble des décès. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, le cancer, quant à lui, (pas tous les types, mais uniquement le cancer de la trachée, du poumon et bronchique) arrive en sixième position. Chiffres à l’appui, c’est la science qui le dit. Mais, la fiction marocaine (films, séries télévisées...) n’est pas du même avis. Pas les professionnels du domaine pris individuellement (acteurs, scénaristes, producteurs, techniciens de son...), mais leurs oeuvres ! Dans un film ou un feuilleton marocains, lorsqu’un personnage se déclare atteint de la “maladie maudite” (le cancer en l’occurrence), tous types confondus et quel que soit le stade du diagnostic, c’est qu’il est condamné à mort ! C’est une fatalité.
On le montre galérer, souffrant, faisant souffrir les siens, déprimé, perdant ses cheveux, maigrir... On montre des Blouses blanches faisant de leur mieux, compatissantes, chagrinées... On montre les proches implorant Allah le Tout puissant... Mais, la maladie “Toute puissante” s’impose... L’épilogue est connu de tous. Point de suspense...
Et les téléspectateurs, dont certains seraient atteints de cette maladie ou risquent de l’attraper à un moment de leur vie (le Maroc enregistre chaque année un nombre de nouveaux cas de cancer avoisinant les 50.000), -loin l’intention des professionnels du cinéma de les stigmatiser- devraient rester insensibles! Sinon, ils peuvent toujours changer de chaîne ! Notre fiction est ainsi faite.
Bien que le cancer soit de nos jours mieux traité, notre fiction le traite mal ! Les progrès de la médecine sont ignorés !
Le diagnostic
L’idée de ce dossier n’est pas très originale. BAB n’est pas le premier à le soulever. Le maltraitement de la thématique du cancer n’est pas le propre de la fiction marocaine. Selon une étude présentée au 37ème Congrès de cancérologie, qui s’est tenu à Vienne en 2012, les films qui traitaient du cancer à l’échelle mondiale à l’époque rendaient compte de façon trop négative de la maladie, privilégiant l’aspect dramatique dans leurs scénarios.
Cette étude avait analysé 82 films dans lesquels le cancer était abordé. “Les connotations liées au cancer, telles qu’elles sont représentées dans les films, ne tiennent pas compte des possibilités thérapeutiques actuelles”, explique-t-on. “Au cinéma, les patients atteints d’un cancer ne survivent que très rarement à la maladie, ce qui n’est, heureusement, plus le cas actuellement”, note la même source. Depuis cette étude, les choses se sont améliorées sous d’autres cieux. Le cinéma mondial ferait l’effort de mieux traiter le cancer. “La thématique de la maladie (cancer, sida, Alzheimer, autisme…) est récurrente dans le cinéma international et les séries télévisées, et elle est pertinemment traitée, sous tous ses aspects techniques, artistiques, diagnostiques, psychologiques et sociologiques, de telle sorte que le spectateur croit regarder la réalité en face”, souligne Mustapha Taleb, critique de cinéma, dans un entretien à BAB. Mais, chez nous, non. Une série de séries marocaines diffusées du temps de Covid-19 (pour ne parler que de celles-là et pour ne pas les citer), et pourtant des chefs-d’oeuvre, continuent d’utiliser “la maudite maladie” aux fins de dramatiser les scènes, plus qu’elles ne le sont en vérité.
Les symptômes
Pour la plupart des scénaristes marocains, “la maladie dont on parle le plus souvent et qui est la plus dramatique et la plus compatissante, c’est le cancer. Le spectateur a beaucoup de compassion envers une maladie que la personne n’est pas censée attraper. Ce n’est pas, par exemple, un accident ou quelque chose de ponctuel”, déplore le réalisateur Saâd Chraïbi, dans un entretien à BAB.
De l’avis du cancérologue Mounir Bachouchi, les séries et films ne font que reproduire la fausse image qu’a le cancer dans la perception des Marocains.
“Les séries et films ne sont que le reflet de la société marocaine, laquelle ne nomme jamais le cancer par son nom, mais par “la maladie innommable” ou “lmerd lkhayb” (la maladie maudite). Il y a ce côté rapace, vorace, destructeur... qui n’est pas forcément vrai. Malheureusement, l’idée est tenace et on ne peut rien y changer. Aujourd’hui, on guérit complètement 60% des cancers. C’est un domaine où les avancées se font à pas de géant”.
Oui, l’image véhiculée du cancer dans notre fiction est totalement fausse. Elle risque de stigmatiser les personnes atteintes de cette maladie et ne soutient en rien les efforts déployés par le Maroc en matière de lutte contre cette maladie. Car, selon nos films et séries nationaux -de plus en plus brillamment interprétés, produits, marquetés et réalisant des chiffres d’audience record- une personne atteinte du cancer, sans préciser lequel, ni le stade de l’évolution de la tumeur, met toujours fin à la vie du personnage qui en souffre à la fin ! Et pourtant, au Maroc, les maladies de l’appareil cardio-vasculaire continuent d’être la première cause de mortalité. Pourquoi pas s’en servir, parler de ses causes pour mieux les prévenir et guérir ? Selon M. Chraïbi, la réponse est simple: nos scénaristes, puisque c’est d’eux, d’après lui, qu’il s’agit en premier, cherchent la facilité. Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ?, raisonneraient-ils.
“On se sert du pathétique pour émouvoir le public. Or, on sait très bien que l’émotion produit une opinion, autrement dit, façonne l’imaginaire collectif. Et c’est à ce niveau-là que la fiction reproduit, justement, les stéréotypes sur le cancer”, souligne, pertinemment, le critique de cinéma M. Taleb. La situation est ainsi décrite. Que faire ? Ou comment faire faire ?
Le traitement
“Les gens qui veillent à la qualité des oeuvres culturelles doivent se mettre à jour et être porteurs de signaux forts. (...) Les séries ou films sont des vecteurs de communication et des canaux d’informations très importants. L’une des plus grandes avancées à propos de laquelle il faut sensibiliser les gens c’est le dépistage précoce”. Voici un appel adressé par M. Bachouchi aux professionnels du cinéma. ’’Il faut dédramatiser le cancer, il n’est pas une maladie incurable’’, insiste-t-il.
M. Chraïbi propose, quant à lui, une piste qui n’engagerait pas de fonds supplémentaire: consulter les spécialistes. “Un scénariste, quand il écrit dans un domaine qu’il ne maîtrise pas, est censé s’adresser aux spécialistes pour avoir des explications, qu’il s’agisse d’un problème médical ou autre. Un scénariste qui aborde l’architecture d’une maison doit s’adresser à un architecte pour des informations plus précises sur un domaine aussi compliqué”. “Aucun médecin ne refusera de fournir donner les informations nécessaires et d’apporter les explications utiles” à un scénariste qui voudrait traiter la thématique du cancer avec précision, insiste notre réalisateur, qui est l’une des grandes figures du cinéma marocain. Pour sa part, M. Taleb estime que “la HACA doit également veiller au respect de la dignité humaine, notamment, celle des malades, en général, et ceux atteints du cancer en particulier”.
Pendant des années, la science s’est battue pour changer la réalité du cancer décrite dans le cinéma. Résultat: le cancer n’est plus la maladie dangereuse qu’elle l'était auparavant. 60% des cancers sont aujourd’hui complètement guéris et même les cas incurables ne sont pas forcément agonisants.
Aujourd’hui, c’est au tour du cinéma, marocain ou autre, de faire l’effort de se mettre à jour et de combattre les stéréotypes qu’il propage à tort et à travers. Tiens ! Il pourra même prédire l’état futur du monde en disant que la science guérit désormais tous les cancers. Dans le langage du cinéma ça s’appelle la science-fiction !