
Des liens forts entre les Marocains et leurs animaux de compagnie, notamment les chats, se sont tissés et ont évolué ces dernières années, changeant radicalement la place de ces derniers au sein des foyers.
Autrefois, simplement animaux trouvés dans la rue auxquels nous donnions à manger de temps à autre, ils sont devenus de vrais membres de la famille. La crise sanitaire a contribué à accentuer le phénomène et à renforcer davantage cet attachement.
Aujourd’hui, il ne s’agit plus seulement de nourrir son animal de compagnie, mais surtout de lui offrir le meilleur. Rien n’est trop cher pour assurer santé et bien-être à son ami à quatre pattes.
Cette mutation sociétale qui a modifié nos rapports avec les animaux a ouvert la voie à un marché à fort potentiel qui ne cesse de croître. Décryptage.
Le business en or de l’alimentation pour chats
Si adopter un chat égaye nos vies et nous apporte beaucoup de plaisir et de joie au quotidien, cela implique aussi un certain nombre de devoirs et d’obligations pour subvenir à ses besoins, assurer sa santé, sa sécurité et son bien-être. Une charge financière non négligeable s’impose.
Alors si vous décidez d’accueillir un félin, il faut prévoir un budget pour cette jolie boule de poils.
Dans ces dépenses, la nourriture vient en tête de liste. Avec l’invasion de l’alimentation industrielle, une multitude de marques, proposant des saveurs variées et vantant des bienfaits sur la santé de l’animal, ne cessent de se développer et d’élargir la gamme de leurs produits.
Qu’il s’agisse de croquettes, de pâtées ou encore de compléments alimentaires et de friandises, les prix varient en fonction de la marque et des besoins spécifiques de son animal de compagnie, le consommateur à l’embarras du choix.
Et ce n’est pas fini ! Pour attirer une large clientèle, aujourd’hui plus que jamais soucieuse du bien-être de son animal, car il ne s’agit plus seulement de nourrir son chat, mais surtout de lui offrir le meilleur, les fabricants jouent sur la corde sensible, en multipliant les promesses santé (contre le diabète, les allergies, le surpoids, les troubles cutanés et problèmes dermatologiques…), et la liste est assez longue…
“Le développement de l’alimentation industrielle spéciale animaux vient comme résultat à deux facteurs: l’augmentation du nombre des animaux de compagnie adoptés, ce qui offre un bon marché et le progrès que les recherches et études vétérinaires ont apporté en matière de nutrition et physiologie féline, surtout que notre ami félin est complexe et plus difficile à satisfaire que le chien, doté en plus d’un fonctionnement enzymatique qui ne lui permet pas de compenser les carences et déficiences nutritionnelles”, explique Dr Meryem Imrani, vétérinaire chirurgienne.
“Notre marché offre devant les propriétaires une panoplie d’aliments qui viennent avec des compositions et des qualités très variables. Cependant, un aliment doit répondre à plusieurs critères pour convenir à un chat”, estime-t-elle.
Entre croquettes, pâtées et alimentation naturelle, Asma, une amoureuse des chats, dépense au moins 2.000 DH mensuellement pour ses six chats (3 adultes et 3 chatons de 4 mois).
Cette jeune dame au grand cœur qui a acquis ces chats par sauvetage préfère leur varier la nourriture. “Je veille à leur donner le meilleur en combinant entre le naturel et l’industriel, déjà parce que les chats aiment changer et manger un peu de tout”, dit-elle.
“Aujourd’hui, il y a une grande demande par les consommateurs sur la nourriture industrielle. C’est pour cela que même les petits magasins s’adonnent à la vente de ces produits”, souligne-t-elle.
“Une autre raison est que les gens ont de plus en plus des animaux de compagnies, et puisque le mode de vie a changé (vie dans des appartements et résidences fermés, donc les gens ont tendance à laisser leurs chats à la maison et ont la responsabilité de leurs garantir la nourriture puisque ces chats n’ont plus accès à la chasse…). En plus de ça, le marché s’ouvre sur les produits turcs, chinois.. donc il y a plus de choix qu’auparavant”, poursuit-elle.
Un mode alimentaire non partagé par Bouchra, qui voue un amour inconditionnel pour les chats, en optant le plus souvent pour une alimentation naturelle pour ses amis à quatre pattes. “Je cuisine moi même les repas de mes chats, une nourriture que j’estime équilibrée et variée, souvent à base de sardines, de thon, de viande blanche ou rouge”, dit-elle.
“Le budget chat comprend les frais vétérinaires, la nourriture et la litière. Bien entendu, libre à nous de ne pas céder à toutes les folies que le commerce propose ! Néanmoins, il y a un élément indispensable à savoir, l’alimentation. Sachez que la qualité d’alimentation de votre chat influe sur sa santé en général et surtout lorsqu’il vieillira”, relève-t-elle.
Selon elle, le budget-nourriture du chat change selon la nature de l’alimentation, industrielle ou naturelle. Si l’on parle de l’alimentation industrielle, celle-ci coûte cher et sa valeur nutritionnelle est faible.
“Opter pour un chat n’est pas une action comptable. Ce processus peut se faire de différentes manières mais ne devrait pas tenir compte des dépenses mensuelles relativement faibles”, ajoute-t-elle.
Mais que se cache-t-il dans ces croquettes ?
Disponible dans les étals des supermarchés et hypermarchés, des animaleries, ou même dans les épiceries du coin à petit prix, l’alimentation industrielle a envahi le marché marocain avec des produits importés. On trouve notamment des articles de différentes provenances, France, Chine, Turquie…
Extrêmement pratique et facile, l’alimentation industrielle est devenue indispensable. Elle est présentée à nos amis félins sans aucune modération et comme une meilleure alternative, mais vous vous-êtes déjà demandé de quoi se compose-t-elle?
Que se cache-t-il dans ces croquettes, que contiennent-elles? Y a-t-il des risques de malbouffe pour nos animaux de compagnie? Causent-elles des maladies et des problèmes de santé? De nombreuses questions nous traversent la tête sans réponse.
Sur ce sujet polémique, Dr Charles Danten a osé lever le voile sur les réalités gênantes qui se cachent derrière notre amour des bêtes. Ainsi, son livre “Un vétérinaire en colère” constitue un véritable dossier noir des rapports que notre civilisation entretient avec les animaux.
“Alors que, pour les êtres humains, les nutritionnistes recommandent de manger des aliments frais et variés, de modérer la cuisson et d’éviter le prêt-à-manger et les aliments contenant des agents de conservation et divers autres produits chimiques, l’industrie alimentaire pour animaux a réussi à convaincre les consommateurs qu’il était contre nature, voire dangereux, de faire pour les animaux ce que nous faisons pour nous-mêmes pour des raisons de santé. Nous offrons donc à nos enfants, jour après jour, des aliments de piètre qualité, fabriqués à même les restes et les déchets de l’industrie agroalimentaires, archi-transformés, dénaturés et dévitalisés par la cuisson, bourrés de toxines, de déchets biologiques, d’herbicides, d’insecticides, de fongicides, de colorants, d’agents de conservation et de saveurs artificielles. Cette pitance est un poison qui les tue d’une mort lente mais certaine”, écrit Dr Charles Danten.
Un souci partagé par Bouchra qui considère que la nourriture industrielle pour animaux de compagnie n’est rien d’autre que du poison. Elle altère la santé et la longévité de nos amis à quatre pattes.
“Les gens se rendent au commerce en pensant acheter de bons aliments pour leur petits amis, des repas complets et équilibrés, mais il n’en est rien. Très peu de gens savent réellement ce qu’ils donnent à manger pour leur félin”, déplore cette journaliste engagée en faveur de la cause animale.
“L’objectif principal, à mon sens, pour ces différentes usines produisant des croquettes et autres aliments pour animaux de compagnie est purement financier. Quant à l’aspect santé, il est relégué au second plan”, considère-t-elle.
Par ailleurs, elle estime que le business de la croquette et de la nourriture industrielle n’a jamais été aussi florissant qu’en cette période de pandémie.
“Le malheur des uns fait le bonheur des autres. La fermeture obligatoire des restaurants a privé chiens et chats errants de leur nourriture quotidienne, “les restes” de la nourriture humaine. Cependant, j’ai constaté de visu que des personnes tous âges et sexes confondus nourrissent quotidiennement en pâtées ou en croquettes des chats livrés à leur sort”, dit-elle.
Et d’ajouter: “cet élan d’assistance et de compassion est toujours présent, en longeant les ruelles, des quantités de croquettes ou de pâtées sont posées ou distribuées sur les trottoirs, par des personnes qui sont réellement touchées par la situation des chats abandonnés, pour preuve, les magasins qui vendent de la nourriture pour animaux ne désemplissent pas”.
Le bien-être de son félin avant tout !
Si une grosse part du budget animal de compagnie est consacrée à l’alimentation, la seconde part concerne notamment les soins de santé, car l’adoption est un vrai engagement qui exige les moyens de faire face aux dépenses que peut occasionner l’entretien de son animal de compagnie.
“L’accueil ou l’adoption d’un chat chez soi entraîne des frais qui doivent couvrir sa nourriture et son confort (litière, gamelle, griffoir...), sans oublier les visites chez le vétérinaire pour le vacciner, le déparasiter et éventuellement le soigner, si vous choisissez de prendre en charge un chat malade”, relève Dr. Meryem Imrani.
“Les frais sont variables selon plusieurs facteurs (race choisie, sexe, âge, état de santé...). Avant l’adoption d’un chat, demandez-vous si vous aurez le temps et le budget à consacrer à votre animal”, conseille-t-elle.
S’agissant de la fréquence des visites chez le vétérinaire, Dr. Imrani relève qu’elles sont programmées par le vétérinaire traitant après “une consultation initiale”.
“Il y a dans un premier temps le check-up que vous devez programmer dès le moment de l’adoption de votre nouveau compagnon, ensuite viendront les rendez-vous vaccinaux et les traitements antiparasitaires qui se déroulent sur 2 à 3 visites ou plus selon l’âge et l’état de santé de santé du chat”, explique-t-elle.
Quant aux soins préventifs (vaccinations et traitements antiparasitaires), elle a indiqué qu’ils sont reprogrammés selon un planning que le vétérinaire traitant prescrit et rédige sur le carnet de santé du chat.
“Les consultations vaccinales qui se font annuellement sont également l’occasion de faire un check-up général et redresser les problèmes de santé, de nutrition ou de bien-être du chat si nécessaire”, ajoute-t-elle.
Sur cette question, Bouchra indique que la première année sera la plus coûteuse en frais vétérinaires, d’autant plus si l’on prend un chaton, car il doit tout recevoir: vaccin et rappel, vermifuge adapté, antiparasitaire, stérilisation. Il va sans dire que les années suivantes seront beaucoup moins onéreuses (sauf en cas de maladie…)
Pour sa part, Asma estime que les frais vétérinaires changent selon les circonstances (parfois ça peut aller jusqu’à 1.000 Dh, stérilisation femelle: 800 dh, castration du mâle: 200 Dh), parfois quand ils tombent malades, la consultation (200 Dh) et les médicaments, etc.
Sans oublier le budget consacré aux accessoires devenus indispensables, qui meublent les rayons des grandes surfaces et des magasins dédiés aux animaux de compagnie, aussi disponibles en ligne, à l’instar de la fontaine d’eau, la cage, le griffoir, les colliers, les gants pour le soin de pélage, les jouets et peluches, etc.
“En plus des gamelles pour nourriture et des produits d’hygiène des chats, il y a les accessoires qu’on achète de temps en temps comme la cage, les brosses pour poils, les laisses… (en moyenne, on peut dire 200 Dh par mois)”, note Asma.
Un marché à ciel ouvert
Adopter ou sauver un chat abandonné, cet acte noble et louable, est devenu de nos jours un vrai business et un marché de niche à fort potentiel qui rapporte bien à ceux qui savent en profiter.
Surfant sur la vague de la digitalisation, l’opération d’achat ou de vente des animaux de compagnie a pris une autre dimension. Elle ne se passe plus uniquement aux magasins traditionnels, plusieurs magasins virtuels ont vu le jour, faisant des animaux de compagnie et du e-commerce une combinaison gagnant-gagnant.
Il suffit d’un simple clic pour accéder à une large palette de choix. Sites internet, groupes facebook… proposent dans des annonces détaillées avec photos des chats de tous les âges, les races et aussi de tous les budgets, des plus modestes aux plus aisés, chat bengal (9.000 Dh), chat persan himalayen (8.500 Dh), chat persan exotique shorthair (6.000 Dh), chat ragdoll (3.500 Dh), chat sibérien (3.000 Dh), chat siamois (500-1.000 Dh), etc.
Il s’agit d’un marché ouvert qui ne subit aucune contrainte légale particulière et ne bénéficie d’aucun cadre légal. En absence d’une loi qui réglemente le secteur, tous les coups sont permis.
“Le commerce des animaux de compagnie tel qu’il est organisé à l’heure actuelle, présente de grandes lacunes et de graves dysfonctionnements, pouvant aboutir à l’augmentation des abandons”, souligne le Réseau Associatif pour la Protection Animale et le Développement Durable (Rapad Maroc), appelant à renforcer la réglementation marocaine à l’égard de cette catégorie d’animaux et mettre en place de nouvelles lois encadrant le commerce, qui seul, favorise le profit au détriment du respect de l’animal, conduisant à la multiplication des abandons, qui viennent augmenter le flux des populations d’animaux errants.
Selon le RAPAD, le statut juridique des animaux de compagnie doit évoluer, de manière à les reconnaître comme des êtres vivants à part entière, doués de sensibilité, notant que les animaux de compagnie, malgré leur grande proximité avec l’homme, font souvent l’objet de négligences voire de maltraitances pouvant aller jusqu’à l’extrême cruauté. Ces actes, sévèrement sanctionnés par la législation de nombreux pays, restent généralement impunis au Maroc.
“Rabaisser l’animal au rang de produit de consommation, comme c’est le cas dans certains élevages commerciaux, encourage des pratiques d’élevages inacceptables : plus d’une portée par an et par chienne, manque de soins, d’hygiène, d’espace, d’exercice, etc. Des chiots sont souvent prématurément arrachés à leur fratrie, ce qui perturbe gravement leur comportement : angoisse, problèmes de sociabilisation ou agressivité sont autant de séquelles irréversibles”, fait observer le Réseau.
Déplorant l’insuffisance du nombre de refuges, qui sont saturés, faute de place et de moyens, car des centaines de chiens et chats sont abandonnés chaque année, le RAPAD incite à l’adoption comme étant la seule solution et la démarche responsable qui n’encourage pas le système commercial à l’origine de la surpopulation et qui permet de lutter concrètement contre la misère animale.w