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Ces cafards qui nous gâchent la vie

Noureddine Hassani
Les cafards nuisibles sont des vecteurs d’infections ©DR
Les cafards nuisibles sont des vecteurs d’infections ©DR
Toutes les espèces de blattes ne se valent pas. Avec leur capacité de reproduction prolifique, leur mode de vie parasitaire, leur comportement imprévisible et leurs traits biologiques répugnants, les nuisibles nous gâchent la vie au point de salir la réputation de tout un ordre d’espèces. Zoom sur ces cancrelats qui cristallisent notre peur et notre répulsion.

Créatures effrayantes de la légende urbaine, mais aussi une réalité omniprésente, les cafards sont honnis par les humains depuis la nuit des temps, étant l’une des formes de vie les plus anciennes sur terre. Même si nos efforts pour les exterminer ont pris des allures d’une guerre chimique de plus en plus complexe, la morphologie de base de ces insectes à six pattes, deux antennes hypersensibles et un ensemble de mandibules voraces est restée inchangée pendant plusieurs millions d’années. Mais bien qu’une poignée d’espèces de ces vedettes de l’évolution affligent effectivement nos cuisines et nos restaurants, transmettent des maladies et exacerbent nos allergies et asthme, il ne faut pas tout mettre dans le même sac. Les blattes présentent une très grande diversité dont seule une infime minorité sont nuisibles pour l’Homme (1%).

Une évolution très ancienne

Le cafard est l’un des insectes les plus anciens et les plus épanouis. Les blattes font partie des groupes d’insectes qui ont évolué au cours de la première grande radiation (évolution) des insectes, et les cafards primitifs ou ancestraux existent sur terre depuis environ 350 millions d’années ou depuis le début du Carbonifère. Elles semblent avoir atteint une forme corporelle optimale et d’autres caractéristiques au début de leur histoire évolutive. Les spécimens fossiles sont relativement abondants et certains qui ont environ 250 millions d’années sont facilement reconnaissables comme des cafards et pourraient passer pour des espèces modernes.

Parmi les caractéristiques qui leur ont permis d’échapper à l’extinction qui a atteint de nombreux groupes d’insectes antérieurs, il y avait la capacité de replier leurs ailes sur le corps. Cela leur a permis de se cacher plus facilement des prédateurs et d’échapper à d’autres dangers. Ils ont également développé au début de leur existence une oothèque qui offrait une certaine protection à leurs œufs car elle pouvait être cachée ou portée par la femelle.

Les blattes appartiennent aux Blattodea (blattoptères), un ordre d’insectes comprenant les blattes et les termites et comptant 6.000 espèces réparties dans le monde entier. Une récente étude taxonomique a identifié 4.641 espèces de blattes, réparties en cinq familles. Parmi ceux-ci, seules une trentaine d’espèces peuvent entrer en contact avec l’homme et seules quatre ou cinq sont réputées nuisibles pour l'homme.

Ces nuisibles qui envahissent nos intérieurs

Les espèces nuisibles endémiques au Maroc sont les mêmes qui ont une grande répartition partout dans le monde. Par ordre d’importance, on retrouve la blatte germanique (Blattella germanica), la blatte américaine (Periplaneta americana), la blatte orientale (Blatta orientalis) et la blatte à bande brune dite aussi rayée (Supella longipalpa).

Selon Khalid Bouroisse, patron d’une société de désinsectisation, avec le recours massif et non raisonné à la lutte chimique, toutes les espèces ont développé potentiellement une certaine résistance aux traitements. Mais de par son pouvoir reproductif et sa répartition, la blatte germanique demeure l’espèce la plus résistante et qui a le plus de potentiel d’invasion. Et pour cause, la femelle adulte de cette espèce pond environ 7 ou 8 oothèques (poches) composées de 48 à 50 œufs chacune, ce qui donne 350 petits par blatte, explique-t-il dans un entretien à BAB, notant qu’un couple peut générer entre 2 et 5 générations par an et jusqu’à une dizaine de milliers de descendants au cours d’une année.

Une fois fécondée, la femelle produit l’oothèque à l’intérieur de son abdomen. Au cours du développement des œufs, son corps devient de plus en plus gonflé. À la fin de l’incubation, les œufs ont terminé leur croissance et l’oothèque commence à dépasser de l’abdomen.

Peu de temps avant l’émergence des nymphes, l’oothèque se détache de l’abdomen de la femelle et tombe sur le sol. La majorité des nymphes émergent un jour après le détachement.

Des vecteurs potentiels de maladies

Les cafards nuisibles abritent de nombreuses espèces de bactéries pathogènes et d’autres types d’organismes nuisibles sur ou à l’intérieur de leur corps, mais ils ne transmettent pas les maladies humaines de la même manière que les moustiques. Ils acquièrent ces organismes en raison de leur habitude de se nourrir de presque tout type de matière organique, y compris les déchets humains et les animaux. Ces organismes transmis par les blattes peuvent rester viables pendant une période de temps considérable. Si la blatte visite ensuite et souille les aliments destinés à la consommation humaine, il est probable que certains des organismes nuisibles se déposent sur les aliments. La consommation de tels aliments peut entraîner une gastro-entérite, une diarrhée et d’autres types d’infections intestinales et d’affections pathogènes.

Les cafards peuvent héberger des bactéries pathogènes appartenant aux genres Mycobacterium, Shigella, Staphylococcus, Salmonella, Escherichia, Streptococcus et Clostridium. Ils abritent également des protozoaires pathogènes des genres Balantidium, Entamoeba, Giardia et Toxoplasma, et des parasites des genres Schistosoma, Taenia, Ascaris, Ancylostoma et Necator. D’après ces listes d’organismes, il est clair que les blattes sont d’importants vecteurs potentiels de maladies.

En outre, les cafards peuvent représenter un souci de santé pour certaines personnes qui peuvent y devenir allergiques, surtout en cas d’exposition constante. Ces réactions affectent généralement la peau et/ou le système respiratoire. Des études ont montré que les personnes qui présentent des réactions cutanées ou bronchiques aux cafards ont des taux élevés d’anticorps spécifiques aux cafards. Ces réactions peuvent être sévères et nécessiter un traitement. Les espèces les plus souvent impliquées dans la production de réactions allergiques sont les blattes germaniques et américaines.

Une peur viscérale

Mais le fait d’être un vecteur potentiel de maladies n’explique pas la peur viscérale qu’ont les humains vis-à-vis des cafards. Qu’est-ce qui explique donc cette peur qui peut même donner lieu à une phobie maladive?

Tout d’abord, ils bougent rapidement, parfois de manière imprévisible, relève Chow-Yang Lee, professeur d’Entomologie urbaine à l’Université de Californie.

En effet, les blattes détectent les menaces qui approchent à travers les changements dans les courants d’air. Le temps de départ le plus rapide enregistré par un cafard n’était que de 8,2 millisecondes après avoir senti une bouffée d’air sur son extrémité arrière. Une fois que les six pattes sont en mouvement, un cafard peut sprinter à une vitesse de 80 centimètres par seconde, soit environ 2,7 km par heure.

De même, certaines espèces comme la blatte américaine peuvent également voler sur de courtes distances. De plus, leurs jambes sont hérissées, de sorte que les personnes qui ont déjà eu affaire à des cafards rampant sur leur corps n’oublieront jamais cette sensation étrange et cette odeur phénolique piquante, ajoute le Pr. Lee, dans un entretien à BAB.

Autre fait troublant mais qui demeure rare, les cafards peuvent mordre. Mais, ils ne sont pas susceptibles de mordre les humains vivants, sauf peut-être dans les cas d’infestations extrêmes où leur population est importante, en particulier lorsque la nourriture devient limitée. Leur morsure peut s’expliquer aussi par une réaction à un danger imminent.

Leur puanteur peut aussi expliquer notre réaction de dégoût et de répulsion. Selon les scientifiques, cette odeur est dûe au fait que les cafards stockent des déchets azotés - l’acide urique, en particulier - dans leur graisse pour le recyclage.

Enfin, leur aspect graisseux désagréable provient d’une cire à base de lipides que sécrète leur cuticule pour éviter la perte d’eau.

Mais tous ces traits n’apportent pas une explication complète à la phobie que peut provoquer le cafard chez certaines personnes. Selon Jeffrey Lockwood, professeur d’écologie à l’Université du Wyoming, la racine de cette peur remonte souvent à une expérience traumatisante, comme lorsqu’un enfant voit sa mère crier à la vue d’un cafard. Souvent, cette peur se forme tôt, vers l’âge de quatre ou cinq ans. Elle se nourrit aussi par les commentaires négatifs d’autres adultes et “nous finissons donc par élever des enfants anxieux”.