
Le lac Dayet Aoua est toujours asséché. Rien ne semble avoir changé depuis plus de six ans. Le même spectacle de désolation. Les 130 hectares que compte le lac ne contiennent plus une seule goutte d’eau. Les 17 kilomètres qui longent la rivière sont presque déserts. Plus de touristes visibles, plus de pêcheurs, plus de riverains s’activant autour du lac… Aussi, la biodiversité a perdu de son éclat d'avant, quand le lac était un paradis avec une flore et une faune aussi riches que diversifiées.
Seules quelques brebis broutent des herbes nées des dernières pluies, et de temps à autre, des mulets portant sur leur dos des bois de chauffage rappellent que la vie continue tant bien que mal pour les habitants des tribus alentour malgré la rudesse des conditions.
La nappe est descendue de 7,7 mètres
Même sous terre, l'eau se fait de plus en plus rare.
“Dans tout le douar, nous n’avons que deux puits”, confie Lahcen Ajghaoui, président de la Fédération El Amal qui fédère les petits agriculteurs de la région.
“A défaut de ressources, des (petits) agriculteurs ont déraciné leurs arbres. D’autres, dans les douars Aït Hajjaj, Ait Hsain, Aït Sidi Moussa, vendent même leurs lots de terrain pour finir par y travailler contre un maigre salaire”, s'indigne Lahcen.
Ce père de 5 enfants représente les populations locales au sein du comité du Fonds de l’eau du Sebou, mécanisme lancé en 2019 et porté par l’ONG WWF Maroc afin de piloter le projet de restauration du lac Dayet Aoua.
Et le sombre tableau dressé par Lahcen Ajghaoui est confirmé par les études effectuées sur place par WWF.
“L’analyse des mesures piézométriques (mesures de profondeur de la surface de la nappe d'eau souterraine) a permis de constater que le niveau de la nappe est descendu 7,7 m en dessous du point le plus bas du lac (zone naturelle)”, révèle Oussama Belloulid, Chef de projets eaux douces au sein de l’ONG WWF Maroc.
Les causes? Tout le monde les connaît dans la région: outre la faible pluviométrie, est pointée du doigt la mauvaise gestion des ressources hydriques par les propriétaires des grandes exploitations de pommes.
L'assèchement du lac “est dû principalement à l’impact de la raréfaction des précipitations accentué par une surexploitation des eaux souterraines dans l’agriculture intensive (pomiculture) pratiquée au voisinage du lac”, souligne M. Belloulid.
Pour faire face à cette surexploitation de la nappe, l'Etat avait arrêté de délivrer des autorisations de creuser des puits depuis 2016, mais cela n'a pas empêché l'apparition de puits illicites.
“Nous constatons l’augmentation exponentielle de puits illicites et la prolifération des parcelles agricoles des cultures des rosacées (pommier, cerisier, etc.) qui ne peuvent qu’aggraver la situation hydrique alarmante actuelle”, indique cet expert en ingénierie hydraulique.
L’agriculture intensive pointée
Du côté de Lahcen, cette situation alarmante impacte principalement les petits agriculteurs et les populations à faible revenu, directement dépendantes des sources superficielles d’eau. “A coups de gros investissements, les grands agriculteurs n'ont aucun souci pour creuser des dizaines de puits dans leurs fermes en allant toujours plus en profondeur à la recherche de la précieuse eau”, déplore Lahcen, alors que les petits agriculteurs comme lui ne disposent même pas d'un seul puits.
“Les grands peuvent ériger de grands bassins, creuser des puits jusqu’à 170 mètres, ils n’ont pas de problèmes pour irriguer, il n'y a pas de sécheresse pour eux, ils n'ont aucun mal à assurer les frais d’exploitation, sans parler des privilèges octroyés par les plans d’aide de l'Etat”, soutient Lahcen qui
estime ne pas avoir d'autres alternatives à cette culture qui lui génère un semblant de revenu stable malgré la baisse, au fil des années, des cours de la pomme sur le marché local.
Lahcen, qui cultive la pomme depuis plus de 15 ans, a vu bien des changements se produire sur les rives du lac.
Mais si à cause des années de sécheresse, le temps paraît figé par ces terres-ci, Lahcen est conscient qu’un autre changement s’amorce, source d’espoir, bien que nécessitant du temps pour prendre forme.
Il s’agit plus exactement d’un changement des consciences perceptible grâce aux réunions du comité du Fonds de l’eau de Sebou qui rassemble plusieurs acteurs: représentants du Département de l’eau, de l’Agence du Bassin Hydraulique du Sebou, du Département des Eaux et Forêts, du Parc National d’Ifrane, de la Direction Provinciale de l’Agriculture d’Ifrane, de la Province d’Ifrane, du WWF.
“Il y a désormais une conscience grandissante des différentes parties prenantes dans la région, des populations, mais aussi pour ce qui est des grands agriculteurs qui commencent à comprendre qu’en puisant dans la nappe, ils détruisent leur capital”, souligne pour sa part, Mohamed Mokhlis, membre dudit comité en sa qualité de directeur du Parc National d’Ifrane, lui qui prône une gestion rationalisée et contrôlée des ressources hydriques dans la région.
Confirmée par plusieurs sources concordantes, une marque de cette prise de conscience est la réduction de moitié d’un programme d'extension de la culture de la pomme qui prévoyait de planter 200 ha, avant d’être revu à la baisse pour atteindre 100 ha actuellement.
La restauration du lac en marche
Autre annonce qui donne une lueur d’espoir aux riverains directement impactés par l'assèchement du lac, le projet phare du comité de l’eau qui consiste à restaurer le lac s’apprête à démarrer bientôt. Sa première phase vise la restauration d’une zone de 30 ha sur les 130 ha d’origine.
“Après étude et analyse du fonctionnement hydraulique local, la pluviométrie de la zone, les prélèvements en eau et la géométrie de la zone de la Dayat et son réseau hydrographique, la restauration du lac nécessite de recourir aux eaux issues du ruissellement des cours d’eau limitrophes qui seront transférées vers la zone naturelle du lac en période de fortes précipitations sans altérer l'écoulement fluvial normal”, explique M. Belloulid, chef du projet.
Selon lui, rien n’entrave ce projet qui a trouvé les financements nécessaires: “Les résultats de l’étude sont en cours de validation par les membres du Comité du Fonds de l’Eau et seront bientôt présentés aux autorités locales pour approbation et démarrage des travaux de la phase 1”.
Ainsi, ce projet, qui commence à se concrétiser au bout de trois ans d'existence du fonds de l’eau de Sebou, d’efforts et de concertations, renseigne sur la difficulté de restaurer des écosystèmes riches et fragiles et témoigne de la nécessité d’impliquer toutes les populations qui en dépendent afin de conserver et de valoriser leur milieu naturel.
Et pour cause: pour revenir à l’état normal du réservoir souterrain (actuellement considéré très facturé), dans les conditions naturelles normales, il faut attendre au moins quatre années pluvieuses, explique M. Belloulid, soulignant que “les pompages dans le bassin hydrogéologique immédiat, pour des fins agricoles ou autres, ne peuvent que retarder le remplissage de la nappe et donc le retour à la normale du lac de Dayat Aoua”. Dayet Aoua n’est pas le seul site asséché dans cette région du Moyen Atlas connue pour ses lacs, Dayet Hachlaf est aussi à sec. Sont tout aussi menacés les lacs Ifrah, Afennourir, Tifounassine et Sidi Ali. Ce qui impose d’agir pour ne pas reproduire le même schéma.