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Hajar Labhioui, une jeune prodige d’El Aita

Par Bouchra Fadel
Hajar Labhioui ©DR
Hajar Labhioui ©DR
“El Aïta”, son histoire et ses chioukhs et chikhates n’ont aucun secret pour Hajar Labhioui, une jeune chanteuse qui a chopé l’amour de cet art populaire dans son entourage familial. à 20 ans, elle a revisité le répertoire de la plupart des grands noms d’El Aïta.
L'artiste Hajar Labhioui serait comme prédestinée en venant au monde dans une maison d’artistes, presque en chantant, nous dit son père. “Voilà un heureux augure dans la destinée de ma petite princesse qui, à peine âgée de quatre ans, était déjà sensible au chant et au rythme musical. Un peu plus tard, à l’âge de 6 ans -précise-t-il- elle a commencé à chanter, et à force d’entendre les chants classiques et populaires, son instinct l’attira vers l’art d'El Aïta, celui précisément de ses ancêtres”.
à peine âgée de vingt ans, Hajar est étudiante en sciences économiques et se définit comme “dépositaire d’une tradition marocaine vieille de plus d’un siècle” qu'elle porte en elle, comme son caftan ainsi que les bijoux traditionnels qu’elle arbore avec fierté - un héritage familial qui est passé de mère en fille avant d’atterrir entre ses mains et sur ses frêles épaules.
Une artiste et fine connaisseuse
Contrairement aux filles de sa génération, Hajar semble assumer un tel héritage et vivre dans une autre époque, celle où “El Aïta”, ce genre à l'origine populaire quoi qu'on en dise, fut l'une des musiques les plus appréciées par les Marocains.
Cet art avait trouvé ses lettres de noblesse à l’époque déjà du protectorat, alors que les musiciens traduisaient la souffrance, les peines et tristesses des Êtres, les espérances comme les drames ou les joies de tout un peuple en des couplets populaires miraculeusement préservés et admirablement interprétés par les Chikhates et Chioukhs. Parmi d’autres, Hajar a interprété la chanson culte “Hajti fi grini”. Ce choix n’a rien de hasardeux, puisqu’elle s’y intéresse d’un point de vue rythmique en se challengeant, compte tenu de sa difficulté, à l’interpréter a cappella, mais aussi d’un point de vue sémantique en poussant ses recherches dans l’histoire de cet art pour pouvoir le situer dans son contexte.
Comme Hajar a grandi dans une famille qui la prédisposait à l’amour de la musique populaire marocaine, sa passion en est devenue une véritable obsession depuis qu’elle a rencontré des chercheurs dans l’art “d'El Aïta” à travers notamment le docteur Hassan Najmi, mais également les maîtres du genre comme Hajib et Jamal Eddine Ezzerhouni, pour ne citer que ceux-là.
Pour elle, ce furent des rencontres déterminantes qui allaient insuffler au parcours de la jeune prodige la trajectoire artistique qui semble l'accaparer et la flamme passionnée qui semble la caractériser. Hajar tient tant et si bien au sceau de l’authenticité que cela en devient presque obsessionnel et cette préoccupation colle même à ses gestes les plus quotidiens, au-delà de ses choix artistiques, se reflétant dans ses costumes quotidiens, sa coiffure, ses propos, son attitude générale...
En la regardant, on est attiré par l'originalité d'une coiffure (re)marquée avec une raie au milieu et des mèches roulées à l'index, le tout rehaussé par un “chignon à l'ancienne” désormais remis au goût du jour en dépit des calibres esthétiques en cours. “C’est une parure de distinction et de dignité”, dit-elle.
Un total look de la Marocaine du 19è siècle
Sa propre chambre est un véritable musée où elle garde et expose fièrement ses reliques qui consistent en de très vieux objets de famille dont la plupart datent du début du siècle dernier.
Pour reproduire tout en couleurs des photos ou pour interpréter une chanson tout comme une “Chikha” des temps anciens, Hajar opte pour un “total look” de la Marocaine du 19ème siècle en intégrant maquillage traditionnel et autres tatouages amazighs.
Tout ceci forcément la distingue et donne l’impression d’assister à une véritable fantasmagorie, une invite, un voyage dans le temps qui nous met en face d’une jeune femme qui semble, comme par enchantement, surgir d’un passé qu'on croyait lointain et inaccessible et dont la voix vibrante et profonde, rôdée depuis son jeune âge à cet art ancestral, remue en nous des sensations inexplicables, réveillant en notre for intérieur des émotions insoupçonnées.
Le génie anime l’aimable visage de Hajar au regard altier sans être orgueilleux. Elle est consciente de son talent, de sa force et de sa capacité à mener à bien cette épreuve.
“Les chants que j’ai interprétés étaient en moi”, dit-elle. Cependant, il lui aura fallu travailler sans relâche pendant des mois pour les apprendre, les intégrer et les façonner pour les faire siens et enfin les partager et les faire revivre pour son public à travers les réseaux sociaux, Youtube et Instagram notamment.
Un pont entre le passé et le présent
Hajar se situe à l’orée de ce monde globalisé qui est le nôtre. Ses performances sont, à quelques exceptions près, minimalistes, dépouillées de tout artifice et se limitant surtout à mettre en exergue le seul timbre d'une voix chaleureuse.
Généralement, elle n’est accompagnée d'aucun instrument et ne compte pour le moment rien y changer à l'effet “de reproduire aussi fidèlement que possible l’art de nos ancêtres !”, lance-t-elle sans sourciller.
Cette native de la ville d'El Kelaâ des Sraghna, précisément d’El Attaouia, un des fiefs d’El Aita, nous confie qu’à travers ses performances, son ambition demeure celle de permettre “une jonction entre le legs ancestral et l'époque moderne”.
En somme, elle se veut une passerelle entre aïeux et descendants pour présenter des reprises de nos chansons cultes - celles du patrimoine immatériel national - avec un nouveau souffle de jeunesse. Son ambition est simple, assumée: elle vise à toucher un public différent, un public à même de comprendre l’importance de préserver ce patrimoine séculaire.