Aller au contenu principal

L'art au service du sacré

Meriem Rkiouak
Dans notre subconscient, la mosquée est synonyme d’enchantement, de béatitude et de paix intérieure ©MAP
Dans notre subconscient, la mosquée est synonyme d’enchantement, de béatitude et de paix intérieure ©MAP
“Les mosquées au Maroc” est un ouvrage qui renseigne sur l’école marocaine en matière d’édification des mosquées en tant que lieux de culte et d’encadrement religieux. En dressant les spécificités architecturales et décoratives de ces espaces de prière, les auteurs nous montrent comment les Marocains se sont appropriés “les maisons de Dieu” et comment les doigts habiles des architectes et maîtres-artisans marocains se sont occupés, avec tant de passion et de minutie de leurs infimes détails, pour en faire les perles d’architecture religieuse qu’elles sont actuellement.

Vendredi 4 février dernier, sur ordre de SM le Roi Mohammed VI, Amir Al-Mouminine, les mosquées du Royaume ont accueilli des prières rogatoires pas comme les autres. 

Au vu des mesures préventives en vigueur pour la lutte contre la pandémie qui empêchent l’accomplissement comme à l’accoutumée de ce rituel, l’invocation de Dieu pour la demande de la pluie s’est faite exclusivement dans l’enceinte des mosquées. 

Plus qu’un lieu de prière quotidienne, la mosquée est inséparable des grands événements de la vie de l’individu et de la société musulmane: c’est vers cet endroit que convergent les foules de fidèles pour implorer la miséricorde divine quand la pluie se fait rare, pour prier et se recueillir quand la mort frappe l’un des leurs ou encore pour célébrer la fin du mois du jeûne ou du grand pèlerinage. 

En plus des rôles religieux et spirituels qu’elles remplissent, les 51.202 mosquées que compte le Maroc forment un ensemble urbain et architectural spécifique. Nombre de ces édifices sont des joyaux de finesse et de symétrie qui renferment la quintessence du savoir-faire de l’artisan marocain et représentent l’illustration la plus aboutie de la magnificence de l’architecture arabo-musulmane dans sa variante marocaine. 

Pour éclairer divers aspects de ce patrimoine sacré qui fait la fierté des Marocains, le ministère des Habous et des Affaires islamiques a édité un beau-livre intitulé “Mosquées du Maroc”. 

L’ouvrage de 400 pages s’ouvre sur un extrait du message que SM le Roi Mohammed VI, Amir Al-Mouminine, a adressé en avril 2009 aux membres du Conseil supérieur et des conseils locaux des oulémas. 

“Depuis que nous est échue la charge suprême de la Commanderie des Croyants, et que nous avons accédé au Trône de nos glorieux ancêtres, nous n’avons cessé d’œuvrer pour rehausser le niveau et la qualité des diverses prestations en matière religieuse. Ainsi, par la Grâce de Dieu, de grandes réalisations ont déjà pu être enregistrées, comme ont été renforcés et consolidés le socle et les fondations de l’édifice institutionnel religieux. Cette évolution est palpable, que ce soit à travers les 'maisons de Dieu’ qui ont été construites, ou au vu de la situation qui a été réservée à ceux qui en ont la charge, ou encore l’extension de l’aire de déploiement des actions d’orientation, de prédication et d’instruction”, affirme SM le Roi dans ce message. 

Le beau-livre est scindé en neuf chapitres dont sept abordent les caractéristiques architecturales des mosquées sous différentes dynasties (mosquées almoravides, almohades, mérinides, saâdiennes, mosquées de la première ère alaouite, mosquées alaouites aux XIX et XXè siècles), en plus d’un chapitre intitulé “Mohammed VI, continuité et innovation” et d’un autre traitant de “Qu’est-ce qu’une mosquée marocaine”. En annexe figurent une brève présentation de “la mosquée Hassan II, véritable chef-d’oeuvre”, les plans de dix mosquées emblématiques de différentes villes marocaines, plus une carte montrant la répartition géographique des mosquées et salles de prière selon les provinces et préfectures.  

L’ouvrage est richement agrémenté d’illustrations, dont des plans architecturaux et des photos de mosquées de diverses dimensions et styles, des plus antiques aux plus modernes, des anciens sanctuaires rustiques nichés dans les douars et bourgs reculés aux somptueux édifices érigés dans les grandes villes. 

Un formidable travail à la main des artisans marocains embellit ces édifices religieux ©MAP
Un formidable travail à la main des artisans marocains embellit ces édifices religieux ©MAP

Le culte de la mosquée chez les Marocains

De toutes les bâtisses, c’est la plus majestueuse, la plus vénérée et la plus joliment décorée. Pour les Marocains, la Mosquée est plus qu’un lieu de culte, c’est un patrimoine sacré, étant le noyau dur de la cité de l’Islam, le centre d’une civilisation ancrée dans le temps et l’espace et un minaret de savoir et de spiritualité dont le rayonnemment a dépassé le domaine du religieux et les frontières du pays.

“Un historien avait qualifié al-Qarawiyyin de Fès de 'mosquée mère de la cité’. Par cette simple phrase, il rendait compte d’une réalité: la vie de la grande cité d’Idris était en effet rythmée par les appels du muezzin d’al-Qarawiyyin et par le signal, la nuit tombée, de la torche de son minaret. A Fas al-Bali, ancienne médina, le même rituel se perpétue à nos jours”, lit-on dans l’introduction de l’ouvrage. 

Preuve palpable du culte voué par les Marocains aux “maisons de Dieu”, le nombre de mosquées qui dépasse les 50.000 éparpillées sur tout le territoire national et le budget qui leur est alloué (construction, entretien et restauration) qui a été de l’ordre de 290 millions de dirhams en 2022, sans compter les mosquées créées et prises en charge par les bienfaiteurs. Peu de nations comptent autant de constructions religieuses. Car, en Islam, faire construire une mosquée ou y contribuer n’est pas une oeuvre ordinaire: c’est un acte de piété par lequel le musulman se rapproche du Très-Haut et pour lequel il mérite une demeure au paradis.

L’intérêt et l’émerveillement suscités par ces minarets spirituels et joyaux architecturaux se reflètent, par ailleurs, dans les nombreuses études d’archéologie monumentale et d’histoire de l’art qui lui ont été consacrées, avec un accent particulier mis sur les périodes almohade et mérinide et, sélectivement, aux mosquées construites par des sultans saâdiens et alaouites. 

L’introduction de l’Islam et son implantation progressive ont été accompagnées d’une édification soutenue de mosquées à travers le pays. 

“La mosquée ne fut-elle pas le lieu de ce voyage nocturne béni ? Elle restera le lieu privilégié du rapprochement dans ses manifestations les plus sublimes, elle revêt une sacralité, elle est associée à la parure et à l’embellissement, elle régule la vie des gens face à la séduction du divertissement et du négoce. Lever les assises des mosquées est le gage de l’équilibre renouvelé, né de la résistance des hommes, les uns aux autres”, indique le ministre des Habous et des Affaires islamiques Ahmed Toufiq dans une préface. 

Au Maroc, l’amour et l’attention portés aux “maisons de Dieu” est l’une des caractéristiques de l’Islam marocain. Qu’il s’agisse de grandes agglomérations urbaines ou de petites bourgades, la mosquée est une infrastructure vitale et un repère essentiel du paysage et de la vie en communauté.

“Les Marocains ont assimilé ces significations depuis leur adhésion à l’Islam. Ils eurent ainsi, hommes et femmes, monarques et mécènes, communautés et particuliers, un engouement à construire des mosquées, dans les villes et à la campagne. (...) La mosquée est l’anse la plus solide entre ciel et terre. Elle est la ceinture de la nation et sa chaire. La hauteur de ses murs dépasse la hauteur de tous les murs, même si les gens rivalisent dans les tailles de leurs bâtisses. Ses portes renvoient, dans la proportion des gens, à la miséricorde du Seigneur que ne limite aucune proportion”, souligne le ministre.

Du fait de cette sacralité, ce lieu de culte est entouré de petits soins en tant que symbole d’élévation spirituelle. Son emplacement est le plus stratégique dans la ville ou le village, son minaret domine tous les bâtiments, sa décoration est la plus raffinée et son architecture frôle la perfection.

“Ses cours intérieures ouvertes sur le ciel rappellent l’étendue de ceux qui implorent Dieu à la pointe de l’aurore. Ses décors, dans le style des gens, évoquent comme un hommage aux anges qui se pressent autour de ceux qui font la prière. Ses nefs, horizontales et verticales, font le parallèle à la prière qui plie, à la fois, le temps et l’espace. Son mihrab est une niche de lumière. Ses colonnes sont des piliers de la vérité. Ses arcs entre les piliers font appel, d’en haut, aux gens pour qu’ils aspirent à boucler le cercle de la perfection. Les têtes de ses chapiteaux exortent à l’humilité envers Qui l’humilité est obligation. Ses instruments pour mesurer les heures de prière associent les largesses du culte à la précision de l’obligation. Son minaret est l’aiguille de l’unicité, son parterre une lettre du commencement et son plafond une marque de grâce. Les mosquées sont des assises émanant de l’ordre de “donnez”, pour que les gens y récoltent, chaque jour, les roses du salut et du réconfort”, poursuit M. Toufik dans cette méditation religieuse et philosophique sur la symbolique de la Mosquée. 

En matière de construction des mosquées, le Maroc a su développer sa propre école ©MAP
En matière de construction des mosquées, le Maroc a su développer sa propre école ©MAP

Des “Ribat” rustiques des Almoravides aux somptueux édifices des Alaouites

Après cette entrée en matière mettant en valeur la relation particulière unissant les Marocains à ce lieu de culte, les auteurs se penchent sur l’évolution architecturale, architectonique et décorative qu’a connue la mosquée marocaine depuis les Idrissides jusqu’aux Alaouites en passant par l’ère almoravide, almohade, mérinide et saâdienne. 

Notant que “l’introduction de l’Islam et son implantation progressive ont été accompagnées d’une édification soutenue de mosquées à travers le pays”, les auteurs précisent que “chaque dynastie a su imprimer à son époque un style particulier qui met en valeur les techniques acquises mais déploie en même temps un grand sens de création et d’innovation”

Des “Ribat” et premières mosquées de l’époque idrisside aux mosquées alaouites du XIXè et XXè siècles, un aperçu détaillé est donné sur les spécificités architecturales et décoratives de chaque espace et de chaque composante de la mosquée: Mihrab, Sahn (cour), Minaret, salle de prière, salle d’ablutions, fontaine-abreuvoir, matériaux et techniques de construction, décor floral, géométrique et épigraphique…

“Sans prétendre en dresser une histoire exhaustive, cette contribution consiste à donner un aperçu sur les propriétés spécifiques qui ont caractérisé la grandeur des sanctuaires édifiés en cette extrême contrée de l’Occident musulman. Cette spécificité architecturale s’est illustrée d’une façon manifeste à travers les plans, les volumes et les décors que les différentes dynasties ont fructifiés au fil du temps”, explique-t-on dans l’introduction de l’ouvrage. 

Sur le plan architectural, “les mosquées marocaines ont évolué, suivant les époques, en partant d’un plan de conception médinoise vers un autre de type longitudinal”, détaille-t-on.

Et d’ajouter: “Dans les deux cas, la nef longeant le mur de la qibla, la nef axiale et le mihrab sont plus mis en valeur que le reste de la salle de prière, concentrant ainsi l’essentiel du système décoratif. Coupoles d’un côté et panneaux de plâtre et de stuc de l’autre sont les composantes majeures de ce décor. Le travail sur la forme des arcatures et l’adjonction d’éléments architectoniques soigneusement confectionnés tels que les chapiteaux ou les colonnes engagées, de même que le recours à des toitures en bois ouvragé, sculpté ou peint, ajoutent à l’embellissement des bâtisses et rehaussent leur attrait esthétique. Ils expriment ainsi toute la maîtrise atteinte par les artisans marocains qui, au fil du temps, ont su adapter les meilleures techniques pour un meilleur usage des divers matériaux employés”

 

L’oeuvre de rénovation dans la continuité
de SM le Roi Mohammed VI

Comparativement aux époques almoravide, almohade et mérinide qui ont été bien documentées, les mosquées édifiées durant la première décennie du règne de SM le Roi Mohammed VI “n’ont fait l’objet d’aucun essai de recherche consistant”, d’où l’importance de ce beau-livre qui “tente de combler ce déficit et de remédier à cette lacune”, selon les auteurs. 

“Grâce à la sollicitude royale, la mosquée, lieu de prière et de piété, a fait l’objet d’un intérêt particulier, en tant qu’espace de propagation des préceptes de l’Islam sunnite et du rite malékite”

Ils mettent ainsi en évidence la dynamique ayant marqué le champ religieux sous l’impulsion du Souverain, laquelle a grandement bénéficié aux mosquées en tant que lieux de culte, d’encadrement de la pratique religieuse, d’enseignement et de formation. 

C’est ainsi que parallèlement au processus soutenu de construction, les bâtisses anciennes, encore en activité, ont été prises en considération aussi bien au niveau de leur restauration que de leur rénovation.

Le domaine architectural n’était pas en reste de cette oeuvre d’innovation dans la continuité.  

Le règne du Souverain a été celui du renouveau d’un art ancestral reconnu en tant qu’école architecturale. Ces paramètres innovants consistent, en particulier, en “l’édification des lieux de culte dans un environnement de proximité, la diversification des sanctuaires et leur adaptation à l’environnement géographique et historique ainsi que la mise en oeuvre de véritables ensembles multifonctionnels pivotant autour de la mosquée en tant qu’organe central de culte et de spiritualité”

“L’approche du Souverain véhicule des principes religieux et spirituels qui expriment des valeurs édifiantes et constructives, un processus humanitaire de développement et une réelle tolérance qui puisent leurs racines dans les fondements identitaires de la société marocaine”.

En conclusion de cette partie, une galerie de photos sous le signe “L’architecture religieuse: expansion et développement” est dédiée à quelques bâtiments représentatifs de cette période: les mosquées Mohammed VI de M’diq, Mohammed VI d’Al Hoceima, Mohammed VI de Tétouan et Lalla Asmaa à Rabat.

Un zoom est fait sur des composantes particulières qui donnent à voire un sens du détail hors du commun, une géométrie des plus fascinantes et une maîtrise inégalable des architectes et artisans marocains (les différentes formes de minarets, la mosaïque de zellige dans les esplanades et les fontaines, les splendides ouvrages en bois de cèdre ornementant les portes, le plafond et le mihrab, les arabesques et les versets coraniques en calligraphie arabe décorant les colonnes en marbre).

Commentant les caractéristiques architecturales de ces édifices, leurs similitudes et différences, les auteurs précisent que “les éléments de ressemblance résident au niveau des matériaux de construction et de décor et de leur mise en oeuvre”. Quant aux dissemblances, elles “sont observables au niveau des dimensions des espaces bâtis, du nombre des annexes ou encore au niveau de l’orientation des nefs et des travées qui structurent l’espace interne des salles de prière”.

Le cachet arabo-musulman est fortement présent ©MAP
Le cachet arabo-musulman est fortement présent ©MAP

Qu’est-ce qu’une mosquée marocaine ? 

Tentant d’identfier l’ADN de la mosquée marocaine, tant sur le plan architectural que décoratif, l’ouvrage part d’un premier constat: “les écrits relatifs aux lieux de culte sont presque unanimes à considérer qu’il “n’existe pas de ’mosquée islamique’ d’un type universel, mais seulement des variantes régionales: un type arabe, un type iranien, un ou des types turcs -auxquels peuvent s’ajouter les types moghol, cachemirien, chinois, etc”.

Par sa conception générale, la mosquée marocaine est une variante du type arabe. “Les traditions locales et interfluences dues aux relations étroites que le pays avait entretenues, durant de longs siècles, avec son environnement immédiat (Maghreb, Andalousie, Afrique sub-saharienne) l’ont inclus, sans sa singularité, au vaste champ de l’école occidentale arabo-islamique”, écrit-on.

“Qu’elle soit “masjid jami” (mosquée du vendredi) ou simple oratoire, la mosquée est l’édifice qui représente le centre spirituel et le lieu cultuel de la communauté. Elle est un élément structurant de l’occupation du sol. Installée dans une position centrale ou quelque peu excentrique, elle influe sur la trame des constructions environnantes, grâce à sa monumentalité, sa puissance et son rayonnement”.

Abordant les significations socio-religieuses de l’édification, l’équipement et l’embellissement des mosquées, les auteurs soulignent qu’ils sont “le moyen d’affirmer un pouvoir, de glorifier un règne ou de faire oeuvre charitable”

Et d’ajouter: “Si l’édification des sanctuaires est, au départ, un acte d’ordre institutionnel établi, elle peut être aussi une initiative privée à condition de s’inscrire fidèlement dans le cadre des prédilections architecturales et artistiques exigées”.

Pour résumer, faire construire une mosquée est une action de portée socio-religieuse qui “cristallise les signes de son époque en tant que réceptacle d’innovations architecturales et artistiques et un symbole de l’ancrage de la foi en Dieu, le Tout-Puissant”.

Havre de paix, une mosquée marocaine est également un pur concentré de beauté et de perfection qui en dit long sur la grandeur du Royaume du Maroc qui fut, pendant un long moment de l’histoire, le centre du monde et l’incarnation de ce qu’une civilisation a de mieux à offrir à l’humanité.