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Le Kafka algérien

La Marche de l'Empereur par Rachid Mamouni


“Si tu n’as pas compris ce qui se passe en Algérie, c’est que tu as tout compris”. Ce mot d’esprit d’une absurdité limpide, prononcé par un professeur émérite des relations internationales, résume de manière éloquente la situation que vit l’Algérie depuis quelques semaines.
Le point culminant de cette situation kafkaïenne a été la Lettre en sept points que le président et désormais non-candidat, Abdelaziz Bouteflika, a adressée au peuple algérien, moins de 24 heures après son retour d’un séjour de convalescence en Suisse et suite à trois semaines de manifestations populaires, dont le souvenir comparable le plus récent remonte à octobre 1988.
Le rappel au bon souvenir de Kafka est imposé ici par le point “1” de la Lettre dans lequel le président algérien sortant écrit, sans sourcier, que “le cinquième mandat, il n’en a jamais été question pour moi”, invoquant principalement son état de santé dégradé et son âge avancé (82 ans). Si ce que dit le président sortant est vrai, qui a alors déposé un dossier de candidature en son nom au Conseil constitutionnel à quelques heures de la fin du délai légal de dépôt de candidatures aux présidentielles (désormais reportées) du 18 avril 2019 ? Qui a limogé le directeur de campagne et homme fort du pouvoir, Abdelmalek Sellak, et qui nommé à sa place Mohamed Zaalan ?
à ces questions et à bien d’autres, balayées d’un revers de main par le point “1” de la Lettre de Bouteflika, quelqu’un, quelque part dans le Palais Al Mouradia, devra répondre. Autrement, c’est un “foutage de gueule” de tout un peuple, pris pêle-mêle pour une ribambelle d’enfants.
Passés les premiers moments de digestion de ce énième coup tordu d’un pouvoir en déliquescence, les Algériens ont repris le chemin de la rue pour crier leur refus d’une prolongation du 4ème mandat de Bouteflika. Ni le limogeage de l’autre homme fort du clan Bouteflika, Ahmed Ouyahya, et son remplacement par le ministre de l’Intérieur Mohamed Bedioui, ni le rappel au service de Taleb Ibrahimi n’ont pu convaincre la jeunesse algérienne du sérieux de la démarche. Le sens de l’humour légendaire des Algériens s’est invité avec force au débat. Il s’exprime essentiellement sur les pancartes brandies par les manifestants et dans les réactions postées sur les réseaux sociaux. Comme un pied-de-nez arithmétique à un éventuel 5ème mandat qui ne dit pas son nom, certains ont inventé le mandat 4,75, soit une prolongation en hors-jeu des trois-quarts d’un mandat.
D’autres, plus loquaces, regrettent déjà d’avoir à subir, désormais, un Bouteflika sans élections, alors qu’ils exigeaient des élections sans Bouteflika.
C’est ainsi que les Algériens, dans l’adversité, font contre mauvaise fortune bon cœur et prient le Tout-puissant pour que disparaissent à jamais les oiseaux-rapaces de mauvais augure qui brandissent l’épouvantail de la décennie noire pour poursuivre leur huis-clos ravageur de tout un pays.

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