Aller au contenu principal

Marocains et pain, les inséparables

Imane Brougi
La majorité des plats marocains se mangent avec du pain ©DR
La majorité des plats marocains se mangent avec du pain ©DR
Dites-moi un aliment ou un plat qu’on ne mange pas avec du pain… Littéralement tout! C’est connu: les Marocains sont des champions de la consommation de cette denrée et les chiffres ne mentent pas! Zoom sur cette denrée qui fait partie intégrante de notre patrimoine culturel et gastronomique et sur sa consommation excessive qui n’est pas sans risques pour la santé.

Entre les Marocains et le pain, une grande histoire d’amour qui dure depuis plusieurs siècles. Véritable emblème de la culture marocaine, le pain, cet aliment de base, occupe une place privilégiée sur notre table: il est consommé à tous les repas, en grande quantité et ce, en dépit de l’évolution des comportements alimentaires, marqués par une diminution considérable de la consommation du pain dans d’autres pays.

Il est omniprésent dans toutes les maisons marocaines, aussi bien du monde rural que du milieu citadin. Il est symbole de convivialité, de commensalité, de bien-être collectif, de générosité, de sacralité et, surtout, du vrai sens du partage.

Placé au centre de la table, le pain incarne la culture partagée. Son partage en famille ou entre compagnons rejoue le geste fondateur de toute communauté.

Pour les Marocains, le pain est, en effet, fait pour être partagé. Il est systématiquement présent dans toutes les cérémonies familiales et sociales et rassemble les membres de la famille autour de la même table. Bref, il fait partie de la mémoire collective des Marocains.

Compagnon de vie des Marocains

Le pain représente le compagnon indispensable des repas puisque la majorité des plats marocains se mangent avec du pain, il fait partie de notre patrimoine culturel et gastronomique.

Le pain est considéré aussi comme un voyage dans le temps et dans les lieux fortement invoqués dans les rituels liés à toutes les étapes de la vie. C’est un aliment vivant qui a conservé son histoire ancienne et qui continue à agrémenter allègrement la vie des Marocains. 

Pour Abderrahim Bourkia, sociologue, écrivain et enseignant-chercheur à l’Institut des Sciences du Sport de l’Université Hassan 1 Settat, les Marocains gardent un attachement spécial au pain. “Notre imaginaire culturel et populaire donne au pain une sacralité incontournable. Faire son pain est un acte constitutif de la culture marocaine. Et nous ne pouvons pas imaginer un mets ou un repas sans pain”, relève-t-il dans une déclaration à BAB.  

“C’est un repère culturel et social central que nous Marocains nous attachons à préserver. Chacun sa manière pour l’avoir. Chacun y va comme il peut”, considère-t-il. 

Le Marocain consomme 1.250 pains par an ©DR
Le Marocain consomme 1.250 pains par an ©DR

“D’ailleurs, les Marocains parlent de différents types de pain et qualifient les autres en liant le pain à leur métier. Il y a le pain sec dont parle notre écrivain Mohamed Choukri dans son célèbre romain autobiographique “Le pain nu”, et il y a le pain facile, pain dur, pain de la sueur, pain de la charité, pain des cuisses, pain noir…”, souligne le sociologue. 

Selon lui, des dictons et des expressions courantes de notre quotidien regorgent d’allusions au pain: “un tel se bat pour le pain”, “il est sorti chercher le pain pour ses enfants” et “un tel arrive à avoir son pain quotidien” ou pour désigner une personne de bonne foi, innocente et quelqu’un de bien: “il/elle est comme le pain de mon Seigneur dans Son plat”

Et de poursuivre: “Les paroles philosophiques à méditer de Sidi Abderrahman El Majdoub sur le pain sont bien explicites que l’on peut traduire du darija ainsi: “pain ô pain, le pain est le bienfait, s’il n’y avait pas de pain, il n’y aura ni prière ni adoration”. Ses propos résument davantage la conception sociale du pain chez les Marocains, en ce sens qu’il est un ingrédient indispensable à tout comportement, voire à toute la vie. Il lui donne un statut terrestre spécial, sans lequel il est pratiquement impossible d’accomplir n’importe quel acte d’adoration de Dieu. Il y a lieu de parler d’un lot de superstitions également mais elles ne sont pas infondées, leurs racines socio-historiques sont bien ancrées historiquement dans la conscience des Marocains”.  

Pour M. Bourkia, les années de sécheresse ont bien marqué les Marocains. Les ombres de la famine des années quarante du siècle passé sont toujours présentes et hantent les esprits des parents et des grands-parents qui ont vécu cette dure période. Ce pain qui a fait sortir les manifestants lors des grèves générales des années 1981 et 1984. D’autres événements ont également conféré au pain une sacralité inégalable.    

Un repas sans pain, quelle erreur ! 

Il faut le dire: nos repas sont incomplets sans un morceau de pain à côté. Clairement, les Marocains sont de gros mangeurs de pain. 

En effet, tous les moments sont bons pour manger du pain pour un Marocain. Il peut être consommé au petit-déjeuner, au déjeuner et au dîner, ainsi que pour des collations tout au long de la journée. La plupart des repas sont servis avec du pain: le Tajine, la Tanjia, la Mrouzia… seraient nus sans leur compagnon essentiel, à savoir, le pain. 

Quel que soit son mode de consommation, comme un aliment principal ou d’accompagnement, et quelle que soit la forme (khobz, mahrach, batbout…),  le pain paraît indissociable de tous les moments de la vie des Marocains.

La meilleure illustration est la multitude de plats servis avec du pain inventés par les Marocains. Des fois, des combinaisons d’aliments les plus insolites. On mange littéralement tout avec du pain (les pâtes, les pommes de terre, les bananes, les smoothies…).

Sans conteste, les Marocains sont des champions de la consommation de cette denrée et les chiffres ne mentent pas! 

Sur cette question, BAB a contacté Bouazza Kherrati, président de la Fédération Marocaine des droits du consommateur, qui a fait savoir que le Marocain consomme 1.250 pains par an, déplorant le fait que nous en consommons trop en comparaison avec les autres pays. 

“Il faut savoir que près de 11 milliards de pains sont jetés annuellement dans les poubelles, il y a un gaspillage énorme en la matière”, souligne M. Kherrati, appelant à lancer des campagnes de sensibilisation pour que les Marocaines prennent conscience de ce problème, diminuent la consommation du pain et trouvent d’autres alternatives, comme le riz…

“De même, le prix du blé a augmenté à l’échelle internationale, donc le consommateur doit participer à réduire nos besoins en importation”, ajoute-t-il.

Selon l'âge, le sexe et le milieu de vie, le pain n'est pas consommé de la même façon ©DR
Selon l'âge, le sexe et le milieu de vie, le pain n'est pas consommé de la même façon ©DR

Pour expliquer cette consommation excessive de pain, le sociologue Abderrahim Bourkia estime qu’“on mange souvent mal et on se sédentarise davantage; c’est ce qui ressort de notre consommation importante de produits comme le sucre, l’huile, la farine et le thé”

“Les habitudes et les modes de consommation changent avec le temps selon les contextes sociaux des familles. Il y a des différences liées à l’âge, au sexe et au milieu géographique: le Nord, le Sud ou l’Oriental, le milieu rural ou urbain et bien évidemment le niveau social, mais la chose qui demeure inchangeable c’est le pain qui est toujours très présent, au petit déjeuner, au déjeuner et au dîner”, relève-t-il. 

Selon lui, les Marocains cherchent à manger ensemble car un repas pris en commun est une mise en scène de la solidarité familiale et, surtout, synonyme de “baraka”. L’anthropologue américain Clifford Geertz, qui a beaucoup travaillé sur le Maroc, parle de la “baraka” ou la bénédiction qui maintient et renforce les liens familiaux et la cohésion sociale. 

Pain et santé: des amis ennemis 

Il faut l’avouer: cette histoire d’amour entre les Marocains et le pain n’est pas aussi rose qu’elle semble l’être, surtout lorsqu’il s’agit de santé. Même si on adore le pain, il faut le consommer avec modération. En effet, les aliments que nous consommons déterminent notre santé, ils peuvent soit l’améliorer et aider à la préservation de notre organisme soit, le cas échéant, contribuer à sa détérioration.

Trop manger un aliment peut nuire à notre santé et provoquer des carences nutritionnelles ou même certaines maladies. Alors, que dites-vous du pain dont la consommation peut aller jusqu’à 3 fois par jour, avec des quantités importantes ?

Selon les spécialistes, la consommation excessive de pain,  en particulier le pain blanc industriel, peut entraîner de sérieux dégâts de santé. Intolérance au gluten, développement de diabète, prise de poids non saine… sont autant d’effets à craindre sur le long terme.

Il s’agit d’un produit à faible teneur en fibres, vitamines et minéraux. De plus, en raison de sa forte concentration en amidon, le pain blanc peut rendre la digestion difficile.

Selon une étude menée par l’organisation World Action on Salt & Health (WASH), le pain blanc contient généralement beaucoup trop de sel. Il est aussi réalisé avec les farines les plus pauvres du marché - on parle alors de calories vides-, qui n’apportent que peu de nutriments au corps. Il contient également du gluten, à l’origine de nombreuses maladies, et beaucoup de sucre (glucides), dont la trop importante consommation peut entraîner un surpoids ou une addiction. Enfin, cet aliment a un indice glycémique trop élevé, c’est-à-dire qu’il augmente la concentration de glucose dans le sang.

Il y a quelques années, la communauté scientifique avait tiré la sonnette d’alarme sur l’apport du pain en sel. Une quantité qui dépasse au Maroc les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé.

A ce sujet, la Fédération marocaine des droits du consommateur (FMDC) a averti quant à la qualité de cette denrée considérée comme aliment de base au Maroc, en soulignant que ce pain est modifié génétiquement par rapport au blé original, entraînant ainsi un changement de sa texture dû à la hausse des quantités d’amidon. 

“L’ajout d’autres composantes comme le sel et le sucre (plus de 3 grammes de sucre dans chaque unité de pain) ainsi que l’emploi de la levure chimique, la présence du chlore dans l’eau ou encore l’élimination de fibres alimentaires, donnent lieu, directement ou indirectement, à de nombreuses maladies comme le cancer du côlon, l’obésité, la dépression, l’eczéma ou encore les différentes allergies dont les intolérances au gluten”, déplore la FMDC.

“Le blé est parmi les aliments qui reçoivent le plus de pesticides dans toutes les étapes de sa culture et de sa transformation. Un contrôle rigoureux est donc nécessaire”, relève la Fédération.

Par ailleurs, la Fédération marocaine des droits du consommateur met en garde contre l’utilisation de la farine sans fibres destinée à la fabrication du pain et demande à ce qu’il y ait un encadrement du secteur afin de permettre de fabriquer cet aliment fortement consommé dans de bonnes conditions, conformément aux normes sanitaires.