
BAB: Mais que se passe-t-il au sein du CFCM? D’aucuns avancent qu’il serait au bord de l’implosion? Pouvez-vous le confirmer et nous expliquer comment est-on arrivé à cette situation?
Mohammed Moussaoui: Quatre fédérations parmi les neuf composant le CFCM ont annoncé leur retrait du bureau exécutif du CFCM. Il s’agit de la Fédération Française des Associations Islamiques d’Afrique, des Comores et des Antilles (FFAIACA), de la Fédération de la Grande Mosquée de Paris (FGMP), des Musulmans de France (MF) et du Rassemblement des Musulmans de France (RMF).
A ce stade, il est important de préciser que seules les trois (GMP, MF et FFAIACA) siègent au bureau exécutif du CFCM. Leur retrait du bureau ne signifie pas leur retrait du CFCM.
Ces fédérations ont pris pour prétexte pour leur décision, la tenue de la réunion du bureau du CFCM du 17 mars 2020 pour nommer un nouvel aumônier national des prisons qui impliquait la participation de deux fédérations: le comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF) et la communauté islamique du Millî Görüș (CIMG), non signataires de la charte des principes de l’islam de France.
La GMP, qui réclame la suspension de toutes les réunions du CFCM tant que les deux fédérations y siègent, ne dévoile pas ses vraies intentions. Les autres fédérations ne font que suivre le dictat du recteur de la mosquée de Paris, l’Algérien Chems-Eddine, dont l’objectif est de mettre à l’arrêt le CFCM pour s’ériger en nouveau représentant de l’islam de France.
En effet, tout en fustigeant et dénonçant les deux fédérations et l’ingérence de la Turquie en France, il invite, le 16 mars 2021, l’ambassadeur et représentant de l’État turc en France à un déjeuner convivial à la mosquée de Paris et tient également des rencontres avec ces fédérations dont la dernière en date du 12 mars 2021, avec le président du Comité de Coordination des Musulmans Turcs de France.
Qui est responsable de cette situation de blocage? Et quelles en seraient les conséquences pour le CFCM?
Comme je viens de l’expliquer, le premier responsable de cette situation est le recteur de la mosquée de Paris ainsi que les fédérations qui le soutiennent aveuglément. Les deux fédérations non signataires de la charte ont aussi une part de responsabilité. Par leur refus de signer la charte des principes pour l’islam de France, elles ont offert le prétexte au recteur de la mosquée de Paris. Ces deux fédérations ont participé à l’élaboration de la charte et ont reconnu être d’accord sur 90% de son contenu. Leur refus de le signer est pour moi incompréhensible.
Le CFCM a connu par le passé ce type de crise, notamment en 2008 et 2011 et il s’en est remis. Aujourd’hui, nous voulons aller plus loin et mettre fin à la volonté de certaines fédérations de mettre le CFCM sous tutelle. Le projet de réforme du CFCM, qui prévoit la création des conseils départementaux du culte musulman et la nécessité de faire émerger l’instance nationale via ces conseils loin de l’emprise d’une poignée de fédérations, s’avère aujourd’hui plus que jamais un objectif à atteindre dans les mois à venir.
Au cœur de cette réforme, il y a aussi l’abolition du système de cooptation. Un système qui permet à ces quatre fédérations de désigner d’office 30 cooptés des 87 membres du CFCM. L’aberration est d’autant plus flagrante que ces quatre fédérations toutes confondues ne disposent que de 12 élus sur ces 87 membres. En revanche, une fédération comme l’UMF que je préside, qui a obtenu à elle seule 18 élus, n’a le droit à aucun coopté.
Est-ce que l’implosion du CFCM, si jamais elle se confirme, va retarder voire hypothéquer ce grand chantier de la réforme de l’Islam voulu par le Président Emmanuel Macron?
Paradoxalement, cette crise pourrait accélérer la départementalisation du culte musulman pour permettre aux pouvoirs publics d’avoir des interlocuteurs sur le terrain. Il ne faut pas perdre de vue que l’essentiel des questions cultuelles ainsi que la lutte contre la radicalisation se passent essentiellement au niveau local. Ces interlocuteurs identifiés, la reconstitution des instances nationales, s’appuyant sur ces interlocuteurs, sera rendue plus aisée et donnerait davantage de légitimité à ces instances.
La création du Conseil National des Imams (CNI) pourra suivre le même processus avec la création des conseils départementaux des imams. Ces derniers éliront le CNI qui aura l’adhésion de l’ensemble des imams de France et un maillage territorial nécessaire à la réussite de son action.
Le CFCM est régulièrement miné par des différends internes. Le fait de ne jamais se mettre d’accord, serait-il symptomatique des musulmans? Pourquoi cette incapacité à resserrer les rangs? A qui profite cette division et qui la nourrit?
D’autres institutions connaissent ce type de différends mais ne les étalent pas en public. Ce qui leur permet de les résoudre en interne. L’explication la plus rationnelle à ces crises réside dans le fait que le CFCM n’est qu’une structure légère privée de tout moyen d’action. C’est la volonté initiale des fédérations qui ont voulu créer un espace de dialogue entre elles et non pas une véritable instance représentative. Le CFCM ne dispose pas de budget, son administration repose sur un secrétaire à mi-temps! C’est, en quelque sorte, un guichet à travers lequel les fédérations parlent aux pouvoirs publics et chacune veut passer la première! Cette situation aberrante doit changer. C’est la mission que je me suis fixée et c’est la raison pour laquelle ces fédérations s’agitent.
Le refus de certaines fédérations de signer “la charte des principes pour l’islam de France” serait à l’origine de la décision de quatre fédérations sur neuf, formant le CFCM de se retirer de cette instance. Pourquoi cette charte divise-t-elle autant les fédérations de musulmans?
Les fédérations se sont mises d’accord sur les éléments essentiels de la charte: la compatibilité des principes islamiques et des principes de la République, le respect des Lois de la République, seules opposables aux citoyens quelle que soit leur conviction, la liberté religieuse, la lutte contre toutes les formes de discrimination, l’égalité homme-femme, le refus de l’instrumentalisation de l’islam à des fins politiques, le refus des ingérences étrangères dans les affaires de notre pays, etc…
Néanmoins, certaines fédérations ont souhaité réécrire certains paragraphes sur fond de tensions personnelles et une volonté d’imposer leurs formulations.
Comme je l’ai rappelé au début de cet entretien, les fédérations qui ont refusé de signer la charte ont commis une faute. Est-ce que le retrait des quatre fédérations du CFCM était une réponse adaptée à cette faute? Je ne le pense pas. Comme toutes les institutions, l’existence du CFCM ne peut être tributaire des fautes de ses membres! Ce n’est pas la solution choisie par ces fédérations confirmant ainsi que la charte n’est qu’un prétexte et que la vraie raison c’est de mettre le CFCM à l’arrêt pour que le recteur de la mosquée de Paris s’autoproclame représentant de l’islam de France.
Plusieurs sorties de crise sont proposées. Le ministère de l’Intérieur préconise une réflexion pour inclure “le niveau local”, notamment avec les responsables de mosquées indépendantes du CFCM. Vous-même vous plaidez pour la mise en place “d’assises départementales” qui permettraient aux musulmans de décider de leur “mode de gouvernance”, via des “conseils départementaux”. Pouvez-vous nous éclairer davantage? A votre avis, quelle voie va-t-elle l’emporter?
A l’occasion des élections de janvier 2020, l’Union des Mosquées de France que je préside avait republié un fascicule intitulé: “Propositions de l’Union des Mosquées de France pour l’Organisation et le financement du culte musulman” dont l’élaboration a été faite en 2017. Nous y avons préconisé une nouvelle organisation du culte musulman basée sur la création des Conseils Départementaux du Culte Musulman et une reconstitution des instances régionales et nationales à partir des départements.
Aussi, il nous est apparu utile et urgent de sensibiliser les imams de France, qu’ils soient affiliés à une fédération ou non, afin de concrétiser cette conviction partagée de faire naître un Conseil National des Imams (CNI) qui sera leur maison commune. Cette institution doit être le fruit d’une concertation la plus large possible via les assises départementales des imams de France.
En un premier temps, il faut mettre en place un conseil constituant composé exclusivement d’imams avec un mandat limité dans le temps et une mission précise, celle de poser les bases du CNI, son projet théologique et son mode d’organisation et de gouvernance.
Ce conseil doit superviser d’une manière impartiale la création des conseils départementaux des imams (CDI).
A l’issue de ces étapes qui pourraient être franchies pendant le mandat du conseil constituant, des élections des membres du CNI par les conseils départementaux des imams (CDI) permettront l’émergence d’un CNI représentatif créé par les imams et pour les imams.
Pour compléter cette nouvelle organisation du culte musulman, nous espérons également l’émergence d’une institution nationale de financement du culte musulman qui permettrait aux musulmans de France de financer dans la confiance, la transparence et l’indépendance leur culte loin de toute ingérence extérieure.
Un dialogue entre ces différentes structures départementales et nationales doit être institutionnalisé pour permettre une meilleure complémentarité entre elles et une mutualisation de leurs moyens d’action.
Aussi, nous appelons l’ensemble des acteurs du terrain et tous ceux qui ont à cœur ce changement à une forte mobilisation pour les assises départementales des imams et de gestionnaires des mosquées pour ouvrir une nouvelle page de l’organisation du culte musulman.
Les personnalités musulmanes de différents horizons, même lorsqu’elles ne sont pas engagées dans ce processus d’organisation, doivent apporter leur contribution et accompagner cette aspiration au changement.
L’émergence de ces structures nouvelles ou renouvelées doit promouvoir une autre façon de servir le culte musulman, débarrassé de tout enjeu de pouvoir et œuvrant pour l’intérêt de nos concitoyens et de notre pays.
Le débat sur l’Islam, deuxième religion en France, occupe régulièrement la place publique en France. Les médias en font leur sujet de prédilection au risque de balancer des contrevérités sur l’Islam et les musulmans semant encore plus la confusion et la division. Comment des instances comme le CFCM peuvent-elles lutter contre les amalgames? Disposent-elles de moyens pour ce faire?
Le radicalisme et le terrorisme se réclamant de l’islam ont contribué largement au climat de défiance à l’égard de l’islam et des musulmans. Malgré la condamnation ferme et unanime par les musulmans de France de toute forme d’extrémisme instrumentalisant l’islam, un grand travail de communication, d’explication et de diffusion de la vraie culture musulmane reste à faire.
Pour faciliter l’accès du grand public à une meilleure connaissance de l’Islam et de la civilisation arabo-musulmane, les travaux de l’instance du dialogue de juin 2015 ont donné lieu à un engagement du ministère de la Culture à entreprendre un travail de recensement des projets portés par les institutions culturelles et audiovisuelles.
Les différentes actions pour une meilleure connaissance de l’islam comme religion et civilisation doivent être accompagnées d’une vigilance à l’égard de toute atteinte à l’image de l’islam et des musulmans. Pour ce faire, nous plaidons pour la signature d’une convention entre le CSA et le CFCM pour un suivi des atteintes à l’image de l’islam dans l’audiovisuel, à l’instar de ce que le CFCM a fait en 2010 avec le ministère de l’Intérieur sur le suivi des actes antimusulmans. Le CFCM doit se donner les moyens de saisir le CSA pour tout contenu attentatoire à l’image de l’islam.
Tout cela suppose un changement profond sur le statut du CFCM. Il ne doit plus rester cet espace de dialogue entre fédérations, mais une véritable instance représentative du culte musulman ouverte sur tous les musulmans. Elle aura leur soutien et ils lui donneront les moyens d’agir.