
Les sculptures à la couleur vive et aux formes généreuses qu’expose actuellement Monia Abdelali à la Villa des arts de Rabat appartiennent-elles à notre monde ?
L’une est dotée d’un corps acrobatique et de pieds en l’air, portés par une tête en forme d’écran rose qui montre un sous-marin en quête d’un trésor.
“Hey babe, take a walk on the wild side”, chantonne l’autre reprenant un refrain de l’icône du rock Lou Reed et “Prince de la nuit et des angoisses”, comme l’appela Andy Warhol.
Cette sculpture, ce personnage au pantalon garni de cœurs rouges et au long cou semé de marques de baisers au rouge à lèvres représente un amoureux fou, un être vivant guidé par ses battements de cœur, prêt à tout par amour, par passion, jusqu’à aller vivre dans la jungle…
Et puis, il y a cette femme très frêle qui chevauche un requin libre qu’elle a domestiqué sans user de rênes.
Ces personnages en quête de hauteur, de profondeur, parmi tant d’autres signés Monia Abdelali, intriguent. Ils invitent à la réflexion, à l’interprétation, au déchiffrage.
Que veut dire l’artiste ? Où nous mène-t-elle avec ses êtres à la fois fous et sages qui défient l’apesanteur, les sens et l’entendement ?
Ce qui est sûr, c’est que chacun raconte une histoire bien précise, écrite et ficelée avec minutie par une artiste soucieuse du détail et qui se donne le temps de contempler le monde, d’en saisir la beauté et le silence malgré la cacophonie ambiante qui le pollue.
Le Pop Art, une révélation
“Je n’ai aucun message, je dessine, je peins, je sculpte ce que je vois, ce que j’espère, ce que j’aime, ce que je défends à défaut de montrer du doigt ce que je déteste, ce que j’exècre, ce qui rendra le monde minable”, dit cette artiste née en 1964 à Agadir et qui a suivi une formation à l’Atelier de Clèves à Toulouse et à Tampa City en peinture et Clearwater en sculpture, les deux en Floride.
À propos de ses influences, elle souligne que le mouvement “The Independent Group”, constitué de critiques, d’artistes et d’architectes, est connu pour avoir lancé le Pop Art en Angleterre dans le début des années 50. “Ce mouvement fut un tournant radical dans ma manière d’envisager l’art. Il m’a débarrassé du carcan du classicisme et a libéré mon écriture”, précise-t-elle.
Monia Abdelali cite également la Bande dessinée comme étant l’une de ses inspirations. “J’utilise souvent la forme narrative de la BD, à l’instar des leaders du pop art. Je leur emprunte parfois leur façon de s’approprier les médias, la pub, les infos, le superficiel, la folie douce, la rue, le sexy bon teint…”, souligne cette artiste pour qui les œuvres restent le meilleur témoignage de notre époque.
Ainsi, pour livrer ses dernières sculptures, l’artiste s’est enfermée pendant deux ans dans son atelier pour donner vie à des êtres libres et libérés de leurs chaînes, de leur carcan.
Elle les décrit comme “anticonformistes, versatiles, fidèles, conventionnels, solidaires, absents. On les croit à l’ouest, mais ils ne perdent jamais le nord, ils sont têtus, mais prêts à être convaincus. Ils sont indépendants, ils sont amoureux, bavards ou indifférents, ils sont souvent dans les extrêmes…”
Pétris dans l’argile de l’Oued Souss, demandant un effort colossal, chaque sculpture nécessitant 600 heures de travail, les œuvres de Monia Abdelali sont ancrées dans une terre à l’histoire millénaire où divers peuples (amazighs, arabes, musulmans, juifs, andalous, hassanis…) ont participé à la construction d’une identité multiple.
C’est ainsi qu’elle repeuple le monde de personnages résilients, dépouillés de toute influence aliénante.
Des personnages profondément humains
“Je ne veux pas que mes personnages soient dictés par une philosophie qui arrive d’ailleurs. Je veux qu’ils aient un idéal qui nous soit plus commun, plus doux, plus ancré dans l’humain, dans les cérémonies, dans un espace-temps qui est totalement à nous, marqué par cet amour courtois que nous avons inventé dans nos contrées depuis des millénaires”, explique cette artiste qui construit chaque œuvre d’une manière unique et avec une technique particulière, se laissant guider par l’inconnu et les incidents, tout comme dans la vie.
“Je pense que lorsqu’on amène de la sympathie et de l’indulgence dans ce monde, même ce qui nous paraît le plus dangereux devient plus doux, plus accessible. Le monde est plus en rondeurs qu’en pointes et c’est ce que j’ai voulu dire dans ce travail”, prône-t-elle.
Par ailleurs, il faut dire que les personnages sculptés par Monia Abdelali ont évolué.
Au début, ses personnages étaient revendicateurs, ils montraient du doigt ce qu’il n’allait pas bien, ils brandissaient des pancartes et scandaient des slogans, ils luttaient, combattaient et avaient des pansements, et même des fractures.
“Petit à petit, mon entourage s’est beaucoup calmé. De l’état de vieux ados, puis jeunes adultes, nous sommes devenus des adultes plutôt responsables qui ont choisi une voie qui est la leur pour arriver à un monde meilleur, atteindre des qualités qui rendent les gens bons et beaux”, explique l’artiste influencée par le soufisme mais également par l’Eudémonisme, cette philosophie posant comme principe que le bonheur est le but de la vie humaine.
A noter que Monia Abdelali expose ses œuvres dans le cadre de l’exposition collective “Tamghart” (Femme en Amazigh), organisée par la Fondation Al Mada, jusqu’au 31 décembre à la Villa des arts de Rabat.