
Danses endiablées, amour sans limites, explosion de couleurs, combats d’un autre monde. Une myriade d’émotions et d’actions fait de Bollywood cet univers où les scenarii les plus surréalistes sont les bienvenus pour fasciner les 1,3 milliard d’Indiens mais aussi ses fans les plus exaltés d’ailleurs.
Le sens de la mesure ? Veuillez chercher ailleurs. A Bollywood, le surréalisme est la marque de fabrique de l’industrie cinématographique depuis des lustres. Et tant que ça subjugue pas mal de cinéphiles et surtout génère des millions voire des milliards de dollars, alors pourquoi faudrait-il changer une formule qui gagne ?
Ces films où les héros s’arrêtent en pleine action pour exécuter, abstraction faite du genre du film, des danses et des chorégraphies incessantes emportent, des heures durant, le spectateur dans un ascenseur émotionnel qui procure joie, angoisse, stupéfaction, gaieté, peur, soupirs…
Mais est-ce que cette aura qui rythmait le cinéma indien depuis sa genèse dans les années 1920 marque toujours Bollywood d’aujourd’hui?
En effet, les films grand public de Bollywood en grande partie reposent sur deux scènes fétiches: la lutte du héros contre des dizaines voire des centaines de méchants, et le happy end qui n’est autre qu’un mariage somptueux de l’héroïne rythmé par des danses et chants interminables.
Ces véritables spectacles colorés notamment dans les années 1950 et 1960, abordaient une panoplie de thématiques mêlant amour, pauvreté, émancipation, rébellion, conflits de castes. Il sied de citer dans ce sens “Pyassa” de Guru Dutt, alias l’Orson Welles indien et “Awaara” de la légende Raj Kapoor.
Dans cette catégorie, l’on cite également le vétéran Manmohan Desai, connu pour ses films d’action-chanson-danse centrés sur la famille qui répondaient aux goûts des masses indiennes et grâce auxquels il a obtenu un grand succès.
Place au réalisme !
De nos jours, la thématique de l’amour demeure omniprésente, mais avec un focus croissant sur des sujets tels que le succès professionnel et l’évolution de carrière. “Ramanujan” est de cette trempe de films. C’est un biopic qui relate la vie du célèbre mathématicien indien Srinivasa Ramanujan et les contraintes qui ont émaillé sa vie. Dans ce sens, le succès des Indiens qui pointent au sommet des géants de la high-tech américaine a largement inspiré les producteurs de Bollywood.
“Bollywood a radicalement changé depuis les années 1980. Auparavant, les films se concentraient tous ou presque sur les histoires d’amour et les films d’action par rapport à aujourd’hui, où les films abordent de vrais événements”, confie à BAB l’acteur Sachin Sharma, connu pour son rôle dans la série télévisée “Ghar Ghar ki Kahani”.
Le scénario revêt désormais une importance capitale dans la plupart des films sans pour autant ignorer les nouvelles technologies ayant rendu les œuvres d’aujourd’hui plus proches de la réalité, a-t-il considéré.
“Nous avons parcouru un long chemin depuis la simple danse autour des arbres et le héros qui essaie de faire tomber l’héroïne et de combattre les méchants jusqu’aux histoires d’aujourd’hui comme Gehraiyaan ou Gully Boy qui s’attardent sur la lutte des jeunes dans la vie professionnelle et personnelle pour assurer un avenir meilleur”, explique M. Sharma.
Les fonds privés et la diaspora comme leviers
En fait, le véritable tournant de l’industrie cinématographique indienne s’est produit en 1991, lors de l’entrée en vigueur de la New Economic Policy (NEP) qui a fait table rase des politiques économiques adoptées depuis l’Indépendance, au profit de la privatisation et la libéralisation du marché.
En optant pour la libéralisation économique, le gouvernement a ouvert la porte aux marchés jusque-là monopolisés par le secteur public. Cette date charnière marque ainsi une nouvelle ère pour le secteur cinématographique qui commence à bénéficier largement des fonds privés aussi bien nationaux qu’étrangers.
Cette révolution a métamorphosé l’audiovisuel en termes notamment de changements technologiques et techniques (réseau, satellite, numérisation, son, image) mais aussi des modifications de formes et de contenu (publicité, programmes commerciaux).
Autre particularité des films contemporains: le tournage a lieu désormais en dehors de Bombay, fief de Bollywood. En effet, la diaspora indienne en Europe et aux Etats-Unis a tiré profit de l’infrastructure hautement favorable pour donner corps aux productions les plus rentables de l’histoire du cinéma indien. A titre d’exemple, “Baahubali: The Conclusion”, produit aux Etats-Unis a généré plus de 17 millions de dollars lors de sa sortie en 2017. La célèbre comédie “3 idiots” qui a mis en vedette le grand Aamir Khan, a conquis le box-office lors de sa sortie en 2009 aux Etats-Unis.
Ce qui se cache derrière cette tendance est une combinaison de l’évolution démographique nord-américaine, des changements du marché en Inde et des tendances cinématographiques parmi les téléspectateurs de films indiens.
Les Indo-Américains représentent l’un des groupes ethniques à la croissance la plus rapide en Amérique du Nord. Les dernières données montrent une augmentation de 69,4% de leur nombre aux États-Unis entre 2000 et 2010, et une croissance similaire au Canada. Dans l’ensemble, ils ont tendance à être des consommateurs avides de films par rapport à la population générale, avec des achats de billets de cinéma par habitant supérieurs de plus de 50% à la moyenne.
Par ailleurs, les effets spéciaux, ce volet largement critiqué dans le passé, est devenu, à l’heure qu’il est, l’un des facteurs qui procurent plus de succès aux films indiens. "Zéro" de la légende vivante Shah Rukh Khan, sorti en 2018 avec un budget de plus de 30 millions de dollars et qui a fait un tabac en Inde et ailleurs, est l’un de ces superproductions ayant su exploiter avec tant de créativité les effets spéciaux.
On note également la nouvelle tendance pour la production de films documentaires qui traitent de moult problèmes qui taraudent l’Inde contemporaine à l’image de “Invisible Demons”, sélectionné pour la nouvelle section “Cinéma pour le climat” du Festival de Cannes 2021 et qui documente la pollution alarmante du sol, des eaux, de l’air et des corps à New Delhi.
Le boom du numérique
Last but not least. Le cinéma indien de nos jours est marqué par le recours croissant des producteurs aux plateformes de streaming sans attendre une sortie en salles.
En fait, le numérique a connu un boom avec des abonnements vidéo passant de 384 millions de dollars à 575 millions de dollars, alors que des professionnels estiment que ce chiffre a atteint plus de 760 millions de dollars à fin 2021.
Les plateformes de services multimédias en continu sont devenues le nouveau grand écran. Il existe plus de 45 services du genre en Inde, également appelés plateformes over-the-top (OTT). Les tendances du secteur indiquent qu’avec l’accès à de meilleurs réseaux, à la connectivité numérique et aux smartphones, les plateformes numériques en Inde attirent de plus en plus d’abonnés au quotidien.
Prime Video d’Amazon, Disney ou encore Netflix sont autant de plateformes ayant permis de consolider les liens entre des millions d’Indiens férus du 7ème art et leurs films préférés.
Du premier long-métrage indien parlant, “Alam Ara”, produit en 1931, jusqu’aux toutes dernières superproductions, l’engouement éternel pour le grand écran en Inde n’a pas changé d’un iota et continue de se transmettre de génération en génération.