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Farida Loudaya, l’art d’abattre les clichés

Rachid Mamouni
Farida Loudaya, ambassadrice de SM le Roi en Colombie et en Équateur ©DR
Farida Loudaya, ambassadrice de SM le Roi en Colombie et en Équateur ©DR
Elle est l’architecte du rayonnement du Maroc en Amérique Latine. Riche d’une brillante carrière en diplomatie couronnée de succès, Farida Loudaya se veut l’incarnation de la réussite au féminin, mettant fin aux clichés liés au genre dans l’accès aux post

Farida Loudaya est souvent étonnée, voire révoltée, quand son interlocuteur, au Maroc ou à l’étranger, est surpris de voir une femme occuper un poste de responsabilité, diriger une entreprise ou présider aux destinées d’une ambassade ou d’un consulat. 

Et pourtant, les femmes marocaines sont nombreuses à briller dans ces différentes positions professionnelles. Mme Loudaya est la démonstration que cet étonnement ne devrait pas avoir lieu, voire banni.

Une carrière diplomatique de près de trois décennies

La nomination de Mme Loudaya en octobre 2016 en tant qu’ambassadeur de SM le Roi en Colombie et en Équateur a été la consécration d’une carrière diplomatique de 28 ans. 

Elle a été aussi le fruit d’un travail acharné dans les couloirs de l’immeuble de l’avenue Franklin Roosevelt à Rabat et dans les représentations diplomatiques du Royaume en France et aux Pays-Bas.

Pour cette native de France, l’aventure diplomatique avait commencé en 1995. Fraîchement diplômée de l’Ecole nationale d’administration publique (ENAP), option diplomatique, Mme Loudaya a été immédiatement chargée d’un dossier qui pèse très lourd dans les relations extérieures du Maroc, celui avec l’Union Européenne.

A l’époque, il faut souligner que le Maroc et l’UE préparaient leur premier Accord d’Association. Autant dire que la tâche est titanesque pour une jeune diplomate attachée à la direction des Etudes et de la coordination sectorielle. C’était le début d’une passion pour des relations aussi stratégiques avec l’UE.

“Le Maroc a toujours considéré l’Amérique Latine comme une région stratégique”, souligne Mme Loudaya ©DR
“Le Maroc a toujours considéré l’Amérique Latine comme une région stratégique”, souligne Mme Loudaya ©DR

Un cursus académique bien garni

Quatre ans plus tard, Mme Loudaya pourra brandir un premier trophée professionnel lorsqu’elle a été nommée chef du service des organisations régionales européennes. Mais attention, ce n’était pas le résultat d’un parcours professionnel confiné aux quatre murs d’un bureau. Cette première consécration est le fruit certes d’un travail assidu sur les dossiers européens, mais aussi d’un cursus académique qui lui a permis de décrocher, coup sur coup, deux diplômes pour enrichir sur le plan théorique, sa formation sur le terrain. Il faut dire que Mme Loudaya n’est pas du genre à dormir sur ses lauriers et attendre que le temps fasse son travail. 

Une année après sa sortie de l’ENAP, elle obtient un Certificat d’Etudes supérieures en sciences politiques de l’Université Mohammed V. Ne comptant pas s’arrêter en si bon chemin, elle décroche en 1999 le très convoité diplôme de l’Ecole nationale d’Administration de Paris. Le nom de sa promotion est “Cyrano de Bergerac”. L’audace et l’entrain évident dans l’œuvre du poète français du 17ème siècle colle parfaitement au tempérament de la diplomate marocaine. 

La tirade du poète sur la nécessité de Travailler à se construire un nom” dans son poème “Non Merci !semble être le phare qui a guidé la carrière de Mme Loudaya.

Tout ce qui est arrivé à Mme Loudaya plus tard coulait de source.

Le triomphe de la méritocratie

En 2009, elle décida d’opérer un léger réglage de sa carrière diplomatique en jetant son dévolu sur l’Amérique Latine, aidée en cela par sa maîtrise de la langue de Cervantes. Elle sera vite nommée chef de division de l’Amérique Latine avant d‘accéder au rang de directeur des Amériques en 2011. Mme Loudaya va rester pendant cinq ans à la tête de cette direction avant que la consécration, tel un fruit mûr, ne vienne en octobre 2016 lorsque SM le Roi décida de la nommer à la tête de l’ambassade du Royaume à Bogota et en même temps, ambassadeur non résident en Equateur.

Mme Loudaya, mère de deux jeunes garçons, peut légitimement s’enorgueillir d’avoir eu un parcours excellent, à la force du travail et du mérite. Pudique, elle ne le montre jamais.

L’interview publiée dans ce numéro de BAB laisse entrevoir une femme diplomate aux idées bien arrêtées. Aucune fioriture. Pas de langue de bois et une ambition débordante de continuer à servir son pays. 

L’interview montre aussi une femme farouche dans la défense des intérêts du Maroc et qui refuse, dans l’adversité, d’insulter l’avenir des relations maroco-colombiennes. Pour elle, ce qui unit les deux pays dépasse de loin les contingences du moment.

                                   

Entretien avec Farida Loudaya

‘‘La compétence et le mérite comme critères’’

Dans un entretien à BAB, Farida Loudaya, ambassadeur du Royaume du Maroc en Colombie et en Équateur revient sur son parcours exceptionnel dans le monde de la diplomatie, la fructueuse coopération liant le Maroc et l’Amérique Latine et la parité homme-femme dans l’accès aux postes de responsabilité. 

“SM le Roi Mohammed VI a toujours été le principal défenseur des droits de la femme”, affirme l’ambassadrice ©MAP/Adnane Jabir
“SM le Roi Mohammed VI a toujours été le principal défenseur des droits de la femme”, affirme l’ambassadrice ©MAP/Adnane Jabir

BAB: Quels sont les principaux défis qui se posent pour un ambassadeur du Maroc en Amérique Latine ?

Farida Loudaya: La coopération transatlantique constitue un espace prioritaire pour notre diplomatie, et c’est pourquoi, le Maroc a toujours considéré l’Amérique Latine comme une région stratégique, où le paradigme de coopération Sud-Sud trouve tout son sens.

Dans ce cadre, il convient de rappeler la tournée historique effectuée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, en 2004, dans plusieurs pays d’Amérique latine, notamment au Mexique, au Brésil, au Pérou, au Chili et en Argentine, qui a permis de conférer une impulsion significative à nos relations, et relancer notre partenariat avec cette importante région du monde, où il existe un réel potentiel de coopération qui mérite d’être davantage exploité, aussi bien sur le plan politique, économique, culturel qu’ humain.

Actuellement, le Maroc, constitue, pour la grande majorité des pays d’Amérique Latine et des Caraïbes, la porte d’entrée au continent africain et au monde arabe, un partenaire clé et un interlocuteur de choix, compte tenu de son leadership et de sa reconnaissance au niveau régional, continental et mondial. De plus, le Maroc dispose aujourd’hui de tous les atouts (position géographique, stabilité politique, infrastructures…) pour servir de tête de pont entre l’Amérique Latine et l’Afrique.

Nos deux régions sont actuellement confrontées à des défis mondiaux similaires, tels que la migration, le développement humain, la sécurité alimentaire, ou encore le changement climatique, qui constituent autant de problématiques qui appellent à une plus grande alliance entre les pays du Sud, aussi bien sur un plan bilatéral que multilatéral.

Le revirement récent de la Colombie concernant la question nationale devrait être un grand défi pour l’ambassadrice du Maroc à Bogota et pour la mission marocaine en général. Comment affrontez-vous cette adversité ? et quels sont les outils à votre disposition pour préserver l’excellence qui a toujours caractérisé les relations entre le Maroc et la Colombie ?

Vous avez raison de souligner l’excellence qui a toujours caractérisée les relations entre le Maroc et la Colombie, relations qui, faut-il le rappeler, ont atteint ces dernières années un niveau optimal, jamais vu auparavant. 

Il convient de rappeler, dans ce cadre, qu’en 2019, nous avions célébré le 40ème anniversaire des relations diplomatiques entre Rabat et Bogotá, une occasion qui nous a permis d’amorcer une nouvelle ère en ce qui concerne le partenariat entre nos deux pays.

Ces dernières années ont été, en effet, riches en évolutions positives. Nos relations bilatérales n’ont cessé de se développer, dans une dynamique productive, portée par Sa Majesté Le Roi Mohammed VI, et donnant lieu à une multiplication de rencontres bilatérales et de mécanismes institutionnels entre le Maroc et la Colombie. 

Dans ce contexte, nous avons eu trois importantes rencontres au niveau des ministres des Affaires étrangères, et ce, en l’espace de deux ans. La première, entre M. Nasser Bourita, et feu Carlos Holmes Trujillo, alors ministre colombien des Relations Extérieures, le 21 juin 2019. La seconde, le 6 avril 2021, avec la chef de la diplomatie colombienne, Mme Claudia Blum, qui a été réalisée par visioconférence, en raison de la pandémie du Covid, et la dernière, le 28 octobre 2021, avec la visite, à Rabat, de Mme Marta Lucía Ramírez, alors Vice-présidente de la République et ministre des Relations Extérieures, qui a tenu à réserver son premier et unique déplacement en Afrique, au Maroc.

Nous avons également tenu, à Rabat, les consultations politiques et la deuxième Commission mixte en février 2020. Des mécanismes qui ont donné lieu à des résultats prometteurs, parmi lesquels le lancement d’un programme de coopération technique, scientifique et culturelle pour la période 2020-2022, et l’identification de nouveaux secteurs prioritaires de coopération qui comprennent, entre autres, la sécurité sanitaire, l’agriculture, l’artisanat ou, encore, le tourisme.

En avril 2021, nous avons signé d’importants accords bilatéraux qui, en plus d’enrichir l’arsenal juridique entre nos deux pays, ont permis d’accroître la concertation sur les grandes questions de sécurité, grâce au Mémorandum d’entente sur la coopération en matière de traitement et de lutte contre le problème mondial des drogues, le renforcement de la coopération Sud-Sud à travers le protocole d’accord entre l’Agence Marocaine de Coopération Internationale (AMCI) et l’Agence Présidentielle de Colombie (APC-Colombie), ainsi que le renforcement de nouvelles perspectives, notamment, économiques et touristiques, grâce, principalement, à la conclusion d’un accord sur les services aériens.

De même, les liens humains entre les ressortissants marocains et colombiens ont été renforcés grâce à l’accord d’exemption de visa pour les détenteurs de passeports ordinaires, entré en vigueur le 28 novembre 2021.

Aussi, et à chaque fois, nous avons pu constater l’étendue de la convergence de points de vue qui unissent le Maroc et la Colombie, avec la conviction que nous avons toujours été deux pays “like-minded”. 

Une dynamique, malheureusement, arrêtée depuis le mois d’août 2022, avec l’arrivée d’un nouveau gouvernement en Colombie.  

Aujourd’hui, ce que nos amis colombiens doivent comprendre c’est que la question du Sahara marocain, qui est pour notre pays une question de souveraineté et d’intégrité territoriale, constitue une ligne rouge.

Je voudrais, dans ce contexte, rappeler la position claire, exprimée par Sa Majesté Le Roi Mohammed VI dans Son discours à l’occasion du 69ème anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple, le 20 août 2022: “le dossier du Sahara est le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international. C’est aussi clairement et simplement l’aune qui mesure la sincérité des amitiés et l’efficacité des partenariats qu’il établit’’.

Ce qui surprend, c’est de voir aujourd’hui la Colombie, qui a toujours été respectueuse de la légalité internationale, et ayant pour principe cardinal la non-ingérence dans les affaires intérieures d’autres pays, prendre position sur une question toujours débattue au sein des Nations Unies et sur laquelle, aucune décision définitive n’a encore été prise. 

L’actuel gouvernement colombien n’a donc pas jugé utile d’attendre le résultat des négociations onusiennes, pour se prononcer sur l’issue du différend régional sur le Sahara Marocain, préjugeant, par conséquent, du résultat des négociations, toujours en cours, octroyant, ainsi, le statut de “pays” et établissant des soi-disant “relations diplomatiques” avec un mouvement séparatiste terroriste, alors que nous savons tous que ces gens-là ne sont pas reconnus par la grande majorité des pays et encore moins par les Nations Unies. 

À cet égard, il convient de rappeler que la Colombie a toujours maintenu et ce, depuis plusieurs décennies, une position constructive, soutenant les efforts du Maroc pour parvenir à une solution politique, juste, durable et mutuellement acceptable, sur la base de l’Initiative pour la négociation d’un statut d’autonomie pour la Région du Sahara, et dont la prééminence est consacrée par 18 résolutions du Conseil de Sécurité des Nations Unies, depuis 2007, qui a été qualifiée de “sérieuse, crédible et réaliste”, tant par le Conseil de Sécurité que par la Communauté Internationale.

Dans ce contexte, je tiens à préciser que cette position prise par le nouveau gouvernement est très loin d’être partagée par la classe politique du pays. Rappelons que, le Sénat colombien avait adopté une motion le 19 octobre 2022, dans laquelle pas moins de 63 sénateurs sur 108, représentant les 9 principaux partis politiques, ont clairement manifesté leur soutien au Maroc et au respect de sa souveraineté et de son intégrité territoriale.

La Colombie qui, rappelons-le, a également un différend territorial qui l’oppose depuis plusieurs années au Nicaragua, devrait être particulièrement sensible aux questions liées à la souveraineté des Etats et, par conséquent, mieux évaluer et mesurer l’ampleur des décisions qu’elle prend dans ce cadre.

Dans ce contexte, j’aimerais savoir comment réagiraient nos amis colombiens si le Maroc venait à s’immiscer, d’une façon ou d’une autre, dans le conflit territorial qui les oppose au Nicaragua? Je pose la question…

La carrière d’ambassadeur se féminise davantage au Maroc. Quel bilan faites-vous de cette évolution ? Considérez-vous que le chemin parcouru par les femmes diplomates est satisfaisant ou au contraire la route est encore longue avant d’atteindre une parité parfaite ?

Vous savez, comme moi, que nous sommes très loin d’une parfaite parité homme-femme dans les postes de responsabilité et c’est, malheureusement, une réalité, non seulement au Maroc, mais, également, dans de nombreux pays à travers le monde, et ce, quel que soit leur niveau de développement. 

Au Maroc, SM le Roi Mohammed VI a toujours été le principal défenseur des droits de la femme. Dès lors, et grâce aux très Hautes Orientations du Souverain, la femme marocaine a pu jouer, au cours de ces dernières décennies, un rôle de plus en plus important dans le développement politique, socio-économique, culturel et scientifique du Maroc, y compris en diplomatie. 

Bien que le nombre de femmes Ambassadeurs ait considérablement augmenté, il n’en demeure pas moins qu’il reste encore très loin d’égaler celui des hommes. 

Aujourd’hui, nous ne pouvons qu’être fiers de voir des femmes marocaines ambassadeurs à travers le monde, non seulement en Europe et en Amérique du Nord, mais aussi en Afrique et en Amérique Latine. Des nominations qui ont permis, selon moi, et pour le moins que l’on puisse dire, une déconstruction des stéréotypes et clichés qui ont trop longtemps entouré la femme arabe et africaine. 

Si j’ai un message à transmettre, aujourd’hui, aux femmes marocaines qui veulent se consacrer à la diplomatie, je leur dirais de croire en leurs capacités et de se battre pour atteindre leurs objectifs.  

Vous savez, je me suis toujours demandée pourquoi, lorsqu’il s’agit d’une femme qui occupe un poste de responsabilité on a toujours tendance à s’interroger sur le “comment ?”, alors que chez un homme, cela va naturellement de soi. C’est pourquoi, j’ai toujours été convaincue que seuls les critères de compétence et de mérite devraient prévaloir pour exercer un poste de responsabilité, quel qu’il soit, et ce, indépendamment du genre.

Pour Farida Loudaya, est-il difficile de concilier une fonction diplomatique aussi sensible et le rôle de maman ?

C’est vrai qu’il n’a pas toujours été facile de concilier une carrière, quelle qu’elle soit, avec le rôle de maman. Personnellement et comme maman de deux magnifiques garçons, je pense avoir pu réussir à trouver un certain équilibre entre les deux.

Ma plus grande fierté, est d’avoir pu inculquer, à mes enfants, l’amour pour leur pays, ainsi que les grandes valeurs qui font d’eux, aujourd’hui, de véritables ambassadeurs du Maroc dans leur environnement respectif.