
BAB: Qui est Hanane Saâdi et qu’est ce qui l’anime ?
Hanane Saâdi: A mon sens, une personne est le résultat d’un parcours de vie et de ses multiples expériences. Elle se définit également par ses valeurs. Dans mon cas, je dirai que les valeurs qui me définissent, je les ai acquises de chacun des membres de ma famille. J’ai, par exemple, acquis les valeurs de l’engagement et du dévouement de ma mère qui, mariée à l’âge de 15 ans, a consacré toute sa vie à son mari et à ses enfants. De mon père, qui était un Fkih et Imam éclairé, j’ai appris les valeurs de la modération et de la tolérance spécifiques à l’Islam de notre pays. Mes frères et sœurs aînés m’ont, quant à eux, inculqué les valeurs du travail, de la persévérance et de l’égalité.
Qu’est-ce qui vous a attiré vers la diplomatie ?
En fait, je peux dire que le choix de ma carrière a également été influencé par ma famille. L’un de mes frères était diplomate et mon cousin a également servi dans la diplomatie. C’est peut-être une coïncidence mais ma première visite à Prague était pour rendre visite à mon cousin qui servait en tant que Conseiller à l’Ambassade du Maroc dans ce beau pays. A l’époque, j’étais encore étudiante et je ne savais même pas que le Ministère recrutait des femmes. Après avoir fini mes études, j’ai donc eu le privilège d’intégrer le ministère des Affaires étrangères. Le chemin a été long avant que je sois nommée Ambassadeur. J’ai occupé plusieurs postes de responsabilité au service central en tant que chef de service et chef de Division. J’ai été en poste dans plusieurs pays comme la Roumanie ou l’Espagne (Séville et Madrid). J’ai également occupé le poste de Consul Général aux Îles Baléares.

En tant que femme diplomate, quels sont les défis que vous avez à relever ?
Comme dans tous les domaines, les défis sont multiples. En diplomatie, ils sont encore plus nombreux et complexes car il s’agit de défendre les Intérêts Suprêmes de notre pays. Je voudrais, à cette occasion, rendre hommage à toutes mes collègues femmes Ambassadeurs, aux collègues hommes bien sûr car on est tous investis de la même mission, mais également aux épouses qui accomplissent un travail considérable de représentation de notre pays et contribuent à son rayonnement.
Un autre défi que je dois relever, en tant que femme ambassadeur est de contribuer au changement de la perception concernant la femme arabe et musulmane. Et c’est un travail de longue haleine.
Représenter un pays comme le Maroc avec son histoire millénaire et sa culture d’une richesse exceptionnelle est, pour moi, un honneur mais c’est aussi un grand privilège. Les réformes et réalisations impulsées grâce à la vision stratégique de Sa Majesté le Roi, sont autant d’outils que je mets à profit pour contribuer au rayonnement du Maroc et in fine pour susciter l’intérêt à tous les niveaux de la société de mon pays d’accréditation.
Comment conciliez-vous, au quotidien, les sphères professionnelle et familiale?
La bonne nouvelle c’est que la notion de routine n’existe pas… Les journées ne se ressemblent pas. Entre réunions avec les officiels, les investisseurs potentiels, les obligations envers les collègues du corps diplomatique, la supervision du travail à l’Ambassade…etc: impossible de s’ennuyer. Quand on est mère de famille, ça rend les journées encore plus remplies et parfois pleines de surprises.
Je dirai qu’il faut avoir un bon sens de l’organisation, de la force et beaucoup de bonne volonté. En ce qui me concerne, je puise ma force dans mes valeurs de dévouement, d’engagement et surtout de l’amour pour mon pays. Le fait de garder le cap sur l’objectif stratégique de ma mission rend les choses plus naturelles et, par conséquent, plus gérables.
Je garde toujours à l’esprit que ces petites tâches quotidiennes ne représentent qu’une infime contribution à ce que beaucoup d’autres personnes qui représentent les forces vives de la nation apportent à notre pays.
En 30 ans de carrière, vous avez été témoin de grands changements au niveau de la diplomatie marocaine. Le plafond de verre s’est-il définitivement brisé pour les femmes?
Je suis quelqu’un d’optimiste et je crois en mon pays et en ses capacités à se réformer et à aller de l’avant. Ce sentiment est renforcé quand je pense au début de ma carrière au Ministère. Quand j’ai commencé mon parcours fin 1992, il y avait très peu de femmes dans les postes de responsabilité. Une directrice (La doyenne de la diplomatie marocaine Mme Halima Ouarzazi), peut-être deux cheffes de Division. Les cheffes de services pouvaient se compter sur les doigts d’une main.
Trente ans après, je suis fière de constater l’évolution qu’a connue la présence des femmes au sein de la diplomatie marocaine. Permettez-moi de vous donner quelques statistiques à cet égard: les femmes constituent actuellement 43% des effectifs du Ministère. Leur présence s’est accrue de façon remarquable pendant les 5 dernières années, aussi bien au Service central que dans les Missions diplomatiques et consulaires.
En ce qui concerne les postes de responsabilité, la part des femmes dans les nominations à la tête des directions est de 28%. 21% des ambassadeurs, des consuls et des chargés d’affaires sont des femmes.
Je voudrais juste souligner que le Maroc est représenté par 19 femmes Ambassadeurs à l’étranger notamment dans des postes aussi stratégiques pour notre pays que les Etats-Unis d’Amérique, l’Espagne ou l’Allemagne.
Ceci dit, notre ministère inscrit la promotion de l’accès des femmes aux postes de responsabilité au centre de ses préoccupations. Alors oui, je suis convaincue qu’en diplomatie le plafond de verre a été brisé et que la compétence passe avant le genre.

Les médias tchèques vous présentent comme une diplomate œuvrant au renforcement des relations entre les trois religions monothéistes. Des détails?
En effet, je représente le Maroc dans un pays profondément laïque (comme conséquence de l’époque communiste, moins de 20% de la population se déclare croyante et 9% est pratiquante) où paradoxalement la question de la religion est souvent mise en avant. Il faut rappeler que je suis arrivée en République tchèque en 2018. Le pays sortait alors d’une campagne électorale très centrée sur la question migratoire avec son lot d’amalgames entre Islam et terrorisme.
En tant que représentante d’un pays arabe et musulman, mon défi était d’expliquer et de convaincre que l’Islam ne doit en aucun cas être associé au terrorisme.
Le Maroc étant connu pour être une terre de tolérance et de cohabitation entre les Religions, l’idée était de démontrer qu’il existe une spécificité marocaine en puisant dans notre histoire et dans notre réalité. L’Institution de Imarat Al Mouminine, représentée par Sa Majesté le Roi, et sa symbolique ou encore le rôle joué par Feu SM Mohammed V pour la protection des citoyens marocains de confession juive du régime de Vichy étaient des arguments que j’ai essayé de mettre en avant.
Dans ce sens, et à l’occasion de la Glorieuse fête du Trône de 2020, alors que la pandémie du Covid-19 marquait une trêve, l’Ambassade a organisé une réception à laquelle ont été conviés les représentants des trois religions monothéistes qui ont prié à l’unisson pour la paix et le bien-être de l’Humanité.
Une autre manifestation culturelle qui s’inscrit dans le même cadre de sensibilisation à l’exception marocaine, a été le concert de musique judéo-marocaine organisé par l’Ambassade en mai 2022, en collaboration avec le Ministère tchèque des Affaires étrangères. Des morceaux originaux, inspirés du patrimoine judéo-marocain ont été composés par deux violoncellistes tchèques de confession juive en hommage à des villes marocaines telles que Fès, Marrakech ou encore Rabat. Je crois que des initiatives de ce genre contribuent, dans une certaine mesure, à faire connaître le Maroc et son histoire et de la sorte à son rayonnement culturel, ce qui fait partie des missions d’un ambassadeur.
Quels conseils donneriez-vous à la jeune génération de femmes diplomates marocaines?
Généralement, je ne me permets jamais de donner des conseils. Par contre je partage, avec un grand plaisir, mon expérience avec la jeune génération de diplomates, que ce soit des hommes ou des femmes car je considère que l’une de nos responsabilités, à mes collègues et à moi, est de préparer une génération de jeunes capables de prendre la relève. La diplomatie est un domaine passionnant, enrichissant mais plein de défis aussi bien au niveau professionnel que personnel.
Pour réussir son parcours, et je pars de ma propre expérience, un jeune diplomate doit s’armer de patience, de persévérance et surtout avoir le sens de la responsabilité et le sentiment d’appartenance au Pays. Pour les jeunes femmes diplomates, je voudrais juste rappeler que quand j’ai intégré le Ministère, il y a 30 ans, la présence des femmes dans les postes de responsabilité était quasiment nulle et je peux vous assurer, pour autant, que l’idée de devenir ambassadeur n’était même pas concevable. Alors que pour vous l’espoir est permis, croyez en vos capacités et ayez suffisamment d’humilité et de curiosité pour apprendre de chacun de vos collègues et de vos supérieurs.
Pour le 8 mars, que souhaitez vous à la femme marocaine?
Alors que le monde entier célèbre la journée internationale de la Femme, je voudrais féliciter toutes les femmes marocaines, leur souhaiter beaucoup de bonheur et de succès. Je voudrais, à cette occasion, rendre hommage à la femme immigrée, qui a suscité l’admiration partout dans le monde lors de l’exploit historique des Lions de l’Atlas à la Coupe du Monde de football. Être capable de transmettre à ses enfants l’amour de la patrie et le sentiment d’appartenance alors qu’on vit dans des conditions difficiles, est à mon sens, également un grand exploit.
Pour finir, je voudrais rajouter que le 8 mars devrait représenter une occasion pour faire un bilan de la situation de la femme au sein de notre société notamment en relation avec ses droits. La femme marocaine est une militante, elle agit sur tous les fronts et mérite une plus grande reconnaissance.
Le fait que Sa Majesté le Roi ait entamé le discours du Trône de 2022, en parlant de la réforme de la Moudawana fut un signal fort de la bienveillance de Sa Majesté. Alors permettez-moi de transmettre un message d’espoir à toutes mes concitoyennes car Sa Majesté est, en réalité, le plus grand défenseur des droits de la femme marocaine.