
Imaginez de regarder la Liga, la Serie A, la Premier League, tous les matchs des grandes coupes nationales et internationales, tout cela à travers un seul et même abonnement: le rêve absolu pour les fans de football! Il n’existe pas d’offre TV capable de fournir un bouquet aussi complet. A moins d’utiliser, comme de plus en plus de Marocains, l’IPTV, diminutif d’Internet Protocol Television. Pour faire simple, il s’agit d’un mode de transmission de programmes TV et de films via internet, sans antenne ni décodeur. C’est une technologie devenue depuis des années le premier mode de réception de la TV devant la réception par satellite.
La recette est assez facile: prenez une box TV Android ou un téléviseur connecté, ajoutez-y un abonnement IPTV acheté sur Internet et défiant toute concurrence mais payé à un “pirate”, installez le tout... et le tour est joué. Cerise sur le gâteau, vous aurez accès à toutes vos chaînes, films et séries préférés à la demande. Les moins technophiles pourront se contenter d’aller à un vendeur du marché des appareils technologiques pour obtenir le même résultat.
Solide, efficace… mais illégal
Destination Derb Ghallef, Casablanca. Notre client témoin Mohammed mène un tour dans ce marché considéré depuis longtemps comme le “paradis du piratage et de la contrefaçon”, pour obtenir l’un des produits phares ayant le plus de succès chez les cinéphiles marocains: l’IPTV. En effet, c’est la tendance recherchée par des télévores marocains qui se laissent appâter par la promesse de l’IPTV, surtout les amateurs de football et des programmes des chaînes françaises.
Les vendeurs présents dans ce marché sont pour la plupart des jeunes hommes – des spécialistes des dernières tendances technologiques. Ordinateurs, smartphones, téléviseurs, consoles de jeu... Le client fait face à un nombre presque illimité de produits. Mais, parmi les dizaines de magasins, notre client quinquagénaire choisit d’entrer chez un vendeur dont la vitrine brillante, pleine de gadgets et smartphones, l’a bien séduit.
“Avec l’IPTV, vous pouvez accéder à toutes les chaînes de sport payantes et ne plus rater un seul match de la Liga espagnole ou de la Premier League anglaise”, défend avec fierté un commerçant bien connu dans les parages du souk le plus branché du Maroc.
“Autrefois, pour disposer de ce genre de services, il fallait un matériel spécifique comme un récepteur ou un boîtier dédié à la réception de l’IPTV. Mais actuellement ce service s’est tellement développé à un niveau que tout est devenu dématérialisé”, ajoute ce vendeur qui reçoit en contrepartie de la vente d’un abonnement IPTV entre 300 et 500 dirhams.
“Tant que vous disposez d’une bonne connexion internet et d’une Smart TV ou même d’un smartphone, vous pouvez regarder des milliers de chaînes télévisées à travers le monde, même américaines ou asiatiques. Vous n’allez même pas le regretter avec notre service après-vente 24h/24”, affirme en toute confiance ce commerçant qui n’est pas du tout inquiété par l’aspect pirate et illégal de ce service. En fait, il faut remettre en question la légalité de ce système de télévision développé et popularisé grâce au bouche-à-oreille et vendu à un prix symbolique, pour ne pas dire beaucoup moins cher que les dépenses des géants de la TV pour attiser l’appétence de leurs fidèles téléspectateurs.
“Payer 300 dirhams par an est beaucoup moins cher que payer 1.500 ou 2.000 dirhams pour voir les matchs de foot”, assure ce commerçant qui a utilisé cet argument final pour convaincre Mohammed. Sans doute le critère le plus important, celui qui peut vraiment faire pencher la balance du côté de l’IPTV illégale.
Car si vous êtes un consommateur intense de télévision, désireux d’avoir l’offre la plus large possible, l’addition est bien plus salée. Celui qui souscrit à Netflix, Prime Video, Disney+ plus un bouquet de chaînes françaises ou arabes payantes devra débourser plus de 4.000 dirhams par an. Si vous ajoutez un ou deux bouquets sportifs, le tarif grimpe. Il va sans dire que personne ou presque ne fait ça. Cependant, chaque service coûte en moyenne entre 100 et 150 dirhams par mois et il n’est pas rare d’en cumuler au moins deux. Forcément, les calculs sont rapidement faits et il est extrêmement facile de céder à cette tentation irrésistible.
La technologie n’est pas illégale en soi
Il faut savoir que la technologie de l’IPTV n’est pas récente, mais son utilisation, pas illégale en soi, constitue un nouveau business juteux pour les pirates. Il est de même possible et très fréquent de trouver des services IPTV légaux qui sont fragmentés entre les streamings par abonnement (Netflix, Disney+...), des chaînes payantes (beIN, RMC sport…) ou bien des listes répertoriant les chaînes accessibles gratuitement. Ce qui est illégal par contre, ce sont les serveurs IPTV qui donnent accès à des chaînes payantes pour lesquelles elles ne disposent pas des droits de diffusion. C’est donc une violation de la propriété intellectuelle et l’utilisateur encourt bien des risques.
“Des logiciels malveillants infectant votre appareil électronique, des criminels accédant à vos informations personnelles, des identifiants de paiement volés, des contenus inappropriés via des publicités contextuelles”, sont parmi les risques de l’utilisation d’un service IPTV illégal cités par l’agence européenne de police criminelle “Europol” dans son site officiel.
En achetant des services de streaming illégaux, ajoute la même source, l’utilisateur aide les criminels à financer d’autres types de crimes et même participer au minage des cryptomonnaies pour leur compte, qui peut alourdir considérablement la connexion internet de l’usager sans qu’il ne s’en rende compte.
De son côté, le consultant IT et spécialiste du sujet, Amine Badaoui, indique que le risque de se faire arnaquer avec l’abonnement acheté en ligne est également très valable, comme celui d’être infecté par un virus informatique ou par des bloatwares - des logiciels qui ajoutent automatiquement de nouvelles fonctionnalités inutiles pour l’utilisateur, mais en collectant les données personnelles de ce dernier.
“Ces services IPTV payants et illégaux souffrent souvent de mise en mémoire tampon, ce qui amène à des coupures fréquentes, tandis que de nombreuses chaînes annoncées par le fournisseur ne fonctionnent pas souvent”, souligne-t-il dans un entretien accordé à BAB.
“Si vous voulez regarder un grand match de foot, vous ne pouvez jamais être sûr que cela fonctionnera à 100%”, note ce spécialiste, ajoutant que l’utilisateur peut manquer plusieurs actions du match quand le service tombe en panne à la dernière minute (comme cela arrive fréquemment en raison d’un grand afflux de téléspectateurs).
Interrogé sur la source d’émission de ces IPTV illégaux, Badaoui répond que ces plateformes sont hébergées dans des pays peu collaboratifs en matière de lutte contre le piratage, surtout en Europe de l’Est (Lituanie, Grèce, Bulgarie, Russie), mais aussi au Maroc et en Algérie, deux pays où les décodeurs pirates et les abonnements illégaux sont monnaie courante depuis au moins dix ans.
Cet expert rejoint l’avis de l’Europol et conseille donc vivement d’y réfléchir à deux fois avant de se laisser tenter et de franchir la ligne jaune. L’offre est certes séduisante, mais par ailleurs frauduleuse car elle est proposée par des groupes mafieux, remettant en question leur utilisation d’un point de vue éthique. Il n’est pas sûr que le jeu en vaille la chandelle.
Sur un pied d’égalité avec le live streaming, l’IPTV est actuellement considérée comme un problème qu’il faut traiter à la source. La lutte s’organise et les cas de démantèlements se comptent à la pelle (notamment la fameuse fermeture d’Electro TV Sat au Maroc l’année dernière), même si les résultats ne sont pas encore définitifs. Or, malgré ces nombreux blocages et arrestations, les IPTV illégales sont toujours entourées d’une aura d’inviolabilité.
Encore faut-il analyser le problème par l’autre bout et savoir de quoi le piratage est le symptôme. Plus l’accès aux chaînes payantes est cher et l’offre est divisée, plus la fraude est alléchante. Certains en tirent parti faute de moyens, ou en font un argument majeur contre le prix “exorbitant” des abonnements indispensables pour suivre tous leurs programmes et compétitions favoris.