
“Chaque femme est bien plus qu’une simple étiquette ou qu’un titre professionnel”. C’est ainsi que se présente Karima Kabbaj, ambassadrice du Maroc en Hongrie, qui avant d’être diplomate, servant son pays avec dévouement et professionnalisme, se considère comme “une femme qui a su s’imposer dans un monde dominé par les hommes, mais aussi comme une fille, une épouse et une maman accomplie”.
L’économie comme voie d’entrée à la diplomatie
Humble, rien ne prédestinait la jeune Karima à prétendre à faire carrière dans la diplomatie, faute de pouvoir intégrer la section diplomatique de l’École nationale d’Administration publique (ENAP) qui était “réservée à une élite restreinte”. Elle en sort tout de même diplômée dans une filière économique. Naturellement, elle commence une carrière au sein du ministère du Commerce Extérieur, au début des années 1990, “un choix qui reflète déjà son désir profond de contribuer à l’essor de son pays sur la scène internationale”.
Cependant, “mon intérêt pour la diplomatie était bien présent”, raconte notre interlocutrice qui a été bercée dès son enfance dans un milieu ouvert sur le monde. Et pour cause, des membres de sa famille étaient soit des diplomates ou menaient une carrière à l’international. “J’ai sans doute été influencée sans le savoir au point d’aspirer moi-même à découvrir la grandeur du monde qui m’entourait”, explique-t-elle dans une interview à BAB.
Après presque une décennie, cet intérêt pour la diplomatie ne faiblit pas. Résiliente et ambitieuse, Karima va forcer le destin, en saisissant une opportunité offerte par le ministère des Affaires étrangères qui cherchait à diversifier ses ressources humaines en recrutant des profils économiques au moment où le Maroc initiait le processus de négociations d’un accord de libre-échange avec les États-Unis. “C’était en 2002, et c’est là que débutait ma carrière de diplomate”, précise l’ambassadrice.
“Rejoindre le Ministère des Affaires étrangères a marqué un tournant décisif dans ma carrière professionnelle”, souligne-t-elle dans un ton de fierté, car 14 ans plus tard, après avoir gravi les différents échelons au sein du ministère, elle s’est vue nommée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI ambassadrice du Royaume du Maroc en Hongrie.

La Hongrie, un allié de choix
Une fois en poste à Budapest, elle découvre un pays fascinant qui renferme un patrimoine historique et culturel des plus riches et où il fait bon vivre. Elle s’investit vite dans la mission de construire une relation de proximité optimale, en droite ligne des Hautes Orientations Royales visant la mobilisation de l’appareil diplomatique au service des causes suprêmes de la Nation. Elle est confortée par les positions audacieuses de la Hongrie qui a su s’imposer sur la scène européenne et en conclut que le pays dispose des atouts d’un “allié de choix”.
“C’est un pays stable politiquement et profondément souverainiste qui fait preuve d’un grand pragmatisme dans ses relations avec ses partenaires en plaçant les intérêts de ses citoyens au-dessus de tout”, soutient Mme Kabbaj.
Sur le plan économique, ajoute-elle, la Hongrie se positionne aujourd’hui comme “l’atelier le plus compétitif de l’industrie manufacturière européenne notamment automobile”. Ceci lui a permis de devenir avec la Pologne “la locomotive de l’Europe centrale et orientale”.
Aujourd’hui, Mme Kabbaj peut être fière que “les relations avec la Hongrie n’ont jamais été aussi excellentes que ces six dernières années”, qu’a duré sa nomination. Un partenariat renforcé à la faveur d’un cadre juridique riche et diversifié, d’un dialogue politique étroit et d’une coopération économique des plus prometteuses.
Un bilan positif et des perspectives prometteuses
Et le bilan saute aux yeux ! “Le Maroc est aujourd’hui considéré comme le partenaire stratégique de la Hongrie en Afrique du Nord. La Hongrie qui reconnaît le rôle stabilisateur que le Maroc joue dans cette région apporte son soutien à l’intégrité territoriale de notre pays et appuie l’initiative marocaine d’autonomie comme unique solution pour le règlement du différend sur le Sahara dans le cadre de la souveraineté du Maroc”, relève-t-elle avec un ton de mission accomplie.
Si Mme Kabbaj peut se targuer aujourd’hui d’avoir mené à bien sa mission, c’est aussi grâce au travail d’une équipe tout aussi dévouée qu’elle a su entourer de sa bienveillance et dont des membres n’hésitent pas à lui témoigner estime et admiration.
“Forte de caractère et toujours à l’écoute, elle incarne cette génération de femmes diplomates, à la fois très consciente des enjeux politiques, économiques et géostratégiques du Maroc, et très connectée avec le terrain”. C’est ainsi que la décrit un diplomate qui a travaillé des années à ses côtés.
“Femme de dossiers, elle est un atout majeur de la diplomatie marocaine”, ajoute-il dans un témoignage recueilli par BAB, notant que “rien ne fait peur à cette diplomate chevronnée, très appréciée par ses collègues pour son engagement et sa discrétion”.
Un autre collègue, travaillant actuellement sous sa direction, met en avant “son perfectionnisme, ses qualités humaines et professionnelles qui sont hautement appréciées par ses pairs au Maroc comme en Hongrie”.
“Toujours ouverte aux propositions de collaboration mais aussi envers les gens, Mme Kabbaj entretient des relations exceptionnelles avec les officiels hongrois. Ses actions louables ont permis d’enrichir et de conforter le partenariat Maroc-Hongrie dans plusieurs domaines…”, poursuit ce diplomate.
“Dévouée et très engagée dans son travail, elle défend avec ferveur les intérêts du Royaume là où elle se trouve”, enchaîne un autre.
Le style, c’est “la femme”
Polyvalente, Mme Kabbaj n’hésite pas à actualiser sa vision de la diplomatie à la lumière des évolutions du monde, faisant valoir “une approche proactive et dynamique pour promouvoir les priorités et les intérêts de notre pays à l’étranger”.
“Nous avons la responsabilité d’initier le changement plutôt que de le subir, tout particulièrement dans un contexte de bouleversement de l’ordre mondial, de mondialisation acharnée, et de défis divers qu’ils soient d’ordre sécuritaire, écologique ou sanitaire”, explique-t-elle avec lucidité.
Lorsqu’on discute avec Karima Kabbaj, on se rend compte à quel point la question de la parité homme-femme lui tient particulièrement à coeur, une égalité qu’elle revendique même au niveau linguistique. Tout au long de l’échange, elle utilise le terme “ambassadrice”, plutôt qu’“ambassadeur” pour décrire son rôle.
“Bien que le terme “Ambassadeur” soit plus couramment utilisé dans le jargon diplomatique au Maroc, je pense qu’il est essentiel aujourd’hui de reconnaître et de renforcer la place des femmes dans ce domaine et c’est pourquoi je préfère utiliser le terme féminin”, explique-t-elle.
Pour elle, la mission est la même qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme, mais “ce qui diffère c’est simplement la manière d’exécuter notre mission. Les femmes sont porteuses d’initiatives novatrices qui remettent en cause les règles du jeu diplomatique traditionnel”.
“Déterminées et combatives tout en restant très empathiques, elles sont aussi polyvalentes et disposent de plusieurs cordes à leur arc, ce qui leur permet d’atteindre les objectifs qu’elles se sont assignés”, ajoute notre diplomate qui promeut activement la femme en diplomatie.
Tout en saluant le chemin parcouru dans la féminisation de la fonction diplomatique, désormais “une réalité dont on ne peut que s’enorgueillir”, elle reste persuadée que “des progrès restent encore à faire si nous voulons parvenir à une meilleure parité” et forme le voeu que “dans un avenir proche, le Ministère verra la nomination de femmes aux fonctions de Secrétaire Général, Cheffe de Cabinet ou Inspectrice Générale”.
Entretien avec Karima Kabbaj
‘‘La diplomate a plusieurs cordes à son arc’’
Dans cette interview à BAB, Karima Kabbaj, ambassadrice du Royaume à Budapest, revient sur son parcours de diplomate et ses réussites en tant que chef de mission du Maroc en Hongrie, et livre sa vision pour une diplomatie “proactive”, tout en défendant la promotion de la gent féminine à des hautes fonctions représentatives, au vu de l’apport précieux de la femme en diplomatie.

BAB: Qui est Karima Kabbaj et quel a été son parcours académique et professionnel avant d’accéder à la diplomatie?
Karima Kabbaj: Il n’est pas facile de répondre à cette question, mais permettez-moi de commencer en disant que chaque femme est bien plus qu’une simple étiquette ou qu’un titre professionnel.
Pour ma part, je me considère comme une femme qui a su s’imposer dans un monde dominé par les hommes, mais aussi comme une fille, une épouse et une maman accomplie. Depuis 2002, je suis aussi diplomate pour mon pays, le Maroc. Lorsque j’ai intégré l’École Nationale d’Administration Publique en 1988, je n’avais pas été prédestinée à devenir diplomate, n’ayant pas eu l’opportunité d’intégrer la section diplomatique réservée à une élite restreinte.
Cependant, mon intérêt pour ce domaine était bien présent. Ayant évolué dans une famille dont certains de ses membres ont été soit diplomates soit ayant mené une carrière à l’international, j’ai sans doute été influencée sans le savoir au point d’aspirer moi-même à découvrir la grandeur du monde qui m’entourait. Une fois diplômée, j’ai débuté ma carrière au sein du ministère du Commerce Extérieur, un choix qui reflète déjà mon désir profond de contribuer à l’essor de mon pays sur la scène internationale. Néanmoins, mon intérêt pour la diplomatie demeurait intact.
Comment avez-vous entamé votre carrière de diplomate?
Rejoindre le Ministère des Affaires étrangères a marqué un tournant décisif dans ma carrière professionnelle. J’ai saisi l’opportunité offerte par le Ministère qui cherchait à diversifier ses ressources humaines en recrutant des profils économiques au moment où les Maroc initiait le processus de négociations d’un accord de libre-échange avec les États-Unis. C’était en 2002, et c’est là que débutait ma carrière de diplomate. Quatorze ans plus tard, après avoir gravi les différents échelons au sein du ministère, j’ai été nommée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu L’assiste, Ambassadrice du Royaume du Maroc.
Quelle est votre vision de la diplomatie et quelles sont les valeurs qui vous animent?
La diplomatie d’aujourd’hui exige une approche proactive et dynamique pour promouvoir les priorités et les intérêts de notre pays à l’étranger. C’est une mission passionnante qui implique d’être à l’avant-garde et de prendre des initiatives audacieuses et innovantes pour façonner activement les relations avec nos partenaires. Nous avons la responsabilité d’initier le changement plutôt que de le subir, tout particulièrement dans un contexte de bouleversement de l’ordre mondial, de mondialisation acharnée, et de défis divers qu’ils soient d’ordre sécuritaire, écologique ou sanitaire.
Aussi, il se peut que vous ayez remarqué que j’utilise le terme “Ambassadrice” plutôt que “Ambassadeur” pour décrire mon rôle actuel. Bien que le terme “Ambassadeur” soit plus couramment utilisé dans le jargon diplomatique au Maroc, je pense qu’il est essentiel aujourd’hui de reconnaître et de renforcer la place des femmes dans ce domaine et c’est pourquoi je préfère utiliser le terme féminin.
L’égalité est une valeur qui me tient tout particulièrement à cœur, et je suis fière de faire partie des 19 femmes Ambassadrices de mon pays en la promouvant activement. J’espère tout particulièrement voir d’autres générations de femmes et de leaders féminins s’imposer dans ces milieux traditionnellement réservés aux hommes.
Vous êtes Ambassadeur du Maroc en Hongrie depuis 2016. Parlez-nous de la particularité de cette affectation?
Je considère que j’ai été très chanceuse d’avoir été nommée Ambassadrice en Hongrie. Cette affectation m’a permis de découvrir un pays qui, de par ses positions audacieuses, a su s’imposer sur la scène européenne. Ceci en fait un allié de choix. C’est un pays stable politiquement et profondément souverainiste qui fait preuve d’un grand pragmatisme dans ses relations avec ses partenaires en plaçant les intérêts de ses citoyens au-dessus de tout. Économiquement, la Hongrie se positionne aujourd’hui comme l’atelier le plus compétitif de l’industrie manufacturière européenne notamment automobile. Ceci lui a permis de devenir, avec la Pologne, la locomotive de l’Europe centrale et orientale. C’est également un pays qui renferme un patrimoine historique et culturel des plus riches, où il fait bon vivre.
Quel état faites-vous de la relation bilatérale, des liens de la coopération et des perspectives de leur développement?
Comme vous le savez, toute politique étrangère implique impérativement l’établissement et l’approfondissement d’alliances et de partenariats ainsi que leur diversification. C’est pourquoi je me suis mis un point d’honneur dès ma nomination à cette haute fonction à la construction d’une relation de proximité optimale qui s’inscrit dans le cadre des Hautes Orientations Royales visant la mobilisation de notre appareil diplomatique au service des causes suprêmes de notre Nation.
Aujourd’hui, les relations avec la Hongrie n’ont jamais été aussi excellentes que ces six dernières années. Ce partenariat a été renforcé à la faveur d’un cadre juridique riche et diversifié, d’un dialogue politique étroit et d’une coopération économique des plus prometteuses même si la crise sanitaire ainsi que la guerre en Ukraine ont quelque peu affecté le tourisme et le commerce bilatéral. Sur le plan universitaire et grâce aux bourses d’études accordées par la Hongrie, celle-ci est devenue une destination très prisée par nos étudiants.
Le Maroc est aujourd’hui considéré comme le partenaire stratégique de la Hongrie en Afrique du Nord. De même que la Hongrie qui reconnaît le rôle stabilisateur que le Maroc joue dans cette région apporte son soutien à l’intégrité territoriale de notre pays et appuie l’initiative marocaine d’autonomie comme unique solution pour le règlement du différend sur le Sahara dans le cadre de la souveraineté du Maroc. La Hongrie constitue également un partenaire de choix pour le Maroc tant au niveau des institutions européennes que dans les instances multilatérales.
Quel bilan faites-vous des efforts du Maroc en matière de parité dans la carrière diplomatique?
Je pense que la volonté du Maroc sous l’impulsion de sa Majesté le Roi, que Dieu l’assiste, de consolider la parité et d’encourager l’accès des femmes aux postes de responsabilité est aujourd’hui une réalité dont on ne peut que s’enorgueillir. Ce choix se reflète clairement dans la diplomatie où la présence des femmes s’est vue renforcer tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Ainsi, le Ministère a connu la nomination de femmes aux fonctions de Ministre délégué et Secrétaires d’Etat, Directrices, cheffes de Division et cheffes de service. De même qu’un certain nombre de nos représentations diplomatiques sont dirigées par des femmes (20% des Ambassades et 25% des Consulats Généraux). Toutes ces femmes ont par leur travail, leur engagement et abnégation réussi à forcer le respect et contribuent à véhiculer l’image d’un Maroc moderne, que bien des pays nous envient. Bien entendu, des progrès restent encore à faire si nous voulons parvenir à une meilleure parité à laquelle nous aspirons toutes. J’espère que dans un avenir proche, le Ministère verra la nomination de femmes aux fonctions de Secrétaire Général, Cheffe de Cabinet ou Inspectrice Générale.
De par votre expérience en tant que cheffe de mission, quels sont les atouts de la femme dans la diplomatie ?
Notre mission en tant que cheffe de poste est la même qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme. Ce qui diffère c’est simplement la manière d’exécuter notre mission. Si l’année dernière, les Nations Unies ont décrété le 24 juin Journée Internationale de la Femme en Diplomatie, c’est que la valeur ajoutée des femmes dans ce domaine est avérée. Les femmes ont indéniablement prouvé leur capacité à diriger. Elles sont porteuses d’initiatives novatrices qui remettent en cause les règles du jeu diplomatique traditionnel. Elles sont déterminées et combatives tout en restant très empathiques. Elles sont aussi polyvalentes et disposent de plusieurs cordes à leur arc, ce qui leur permet d’atteindre les objectifs qu’elles se sont assignés.
Comment conciliez-vous vie personnelle et devoirs professionnels?
La conciliation entre responsabilités professionnelles et vie de famille n’est pas toujours facile, et je ne prétends pas y parvenir sans difficulté. Au fil des années, j’ai cependant appris à me fixer les règles nécessaires pour pouvoir concilier les deux, sans sacrifier l’un ou l’autre. Cette démarche demande beaucoup d’efforts, d’ingéniosité, de flexibilité et de vigilance. Par exemple, il est important de définir clairement ses objectifs professionnels et personnels afin de mieux les prioriser. Il peut être nécessaire de déléguer certaines tâches ou d’apprendre à dire non. Nos responsabilités, qu’elles soient professionnelles ou familiales, sont time-consuming. Aussi, est-il essentiel de prendre du temps pour soi afin d’être en mesure de gérer les deux avec succès. Plus important encore, avoir le soutien d’une famille peut grandement contribuer à la réussite professionnelle.