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Kenza El Ghali: de la politique à la diplomatie

Rachid Mamouni
Kenza El Ghali, ambassadrice de SM le Roi au Chili ©MAP
Kenza El Ghali, ambassadrice de SM le Roi au Chili ©MAP
Députée, professeure, militante istiqlalienne et ambassadeur, Kenza El Ghali, touche presque à tout. Cette femme de coeur mais aussi d’engagement continue son chemin de lutte en faveur du rapprochement entre le Maroc et le Chili, en apportant un nouveau souffle aux relations entre les deux pays.

Kenza El Ghali se plaît à raconter l’anecdote qui fait croire que Rhafsai, la terre de ses ancêtres, est mieux que New York. 

La légende raconte que l’actuelle ambassadeur du Maroc au Chili et ancienne députée istiqlalienne ne tarissait pas d’éloges sur Rhafsai, ses paysages, ses petits gens, son climat et les mystères de ses saints. Elle faisait référence sans cesse à Rhafsai au point qu’un jour, le défunt Larbi Messari, ancien ministre et ancien ambassadeur au Brésil, a interpellé Kenza El Ghali avec cette phrase prononcée avec la finesse d’un tetouani pur jus: “Lalla Kenza, à force de parler de Rhafsai, on croirait que vous parlez de New York”. Fin de l’anecdote. Début de la vie réelle.

Une passionaria de l’éducation des filles

Kenza El Ghali est native d’Oujda en 1963, mais sa relation avec la terre de ses aïeuls relève de la mystique. C’est là où elle se rend en premier quand elle rentre au bercail pour des vacances. C’est là où elle s’est initiée à la politique aux côtés de son mari Mohamed Nefisi, et c’est là où elle porte l’étendard de l’éducation des jeunes filles et enfin, c’est là où, selon son propre désir, elle aimerait couler une retraite douce, perchée dans une Ghourfa et écouter, telle une musique ancestrale,  les clameurs des marchands et le brouhaha qui monte du souk hebdomadaire.

Après une licence en littérature espagnole en 1986, Kenza El Ghali enchaîne les diplômes académiques, tout en menant un travail de terrain qui vaut mille diplômes. Elle contribua à alphabétiser et à éduquer les fillettes dans les douars de sa région. Pour elle, voir la reconnaissance et la gratitude dans une paire d’yeux d’une fillette est le plus précieux des diplômes.

Consciente que l’accomplissement et l’épanouissement de la femme passe inéluctablement par les voies de l’éducation et de l’apprentissage, Kenza El Ghali obtint en 1989 un diplôme en pédagogie, puis un DES en études hispaniques (2001) et enfin un doctorat en langue et civilisation espagnoles sous la supervision du célèbre arabiste espagnol, Bernabé Lopez Garcia.

L’ambassadeure du Maroc au Chili offrant une réception en célébration de la Fête du Trône ©MAP
L’ambassadeure du Maroc au Chili offrant une réception en célébration de la Fête du Trône ©MAP

L’action syndicaliste et politique

Les activités académiques de Kenza El Ghali n’ont d’égal que son dynamisme dans les sphères politique et syndicale. Ainsi, elle est élue successivement membre du bureau exécutif de l’Union générale des travailleurs du Maroc (UGTM) et membre de la Commission exécutive du Parti de l’Istiqlal. Elle a aussi occupé entre 2009-2015 la présidence de la Commission des Finances à la municipalité de Fès et le poste de conseiller régional de Fès-Meknès.

Mais c’est sur le front parlementaire qu’elle aiguisa ses capacités de négociations et de compromis et son sens de l’engagement. Députée entre 2011 et 2016, Kenza El Ghali a été élue vice-présidente de la Chambre des représentants chargée de la coopération avec les organismes législatifs en Amérique Latine. Coïncidence ou prémonition ? 

Quand la députation ouvre la voie au monde latino-américain

Son choix pour siéger au sein de la commission des Affaires étrangères et de la défense au sein de la Chambre des représentants serait une autre prémonition.

Le voile sera levé définitivement sur ces deux prémonitions en 2016 avec la décision de SM le Roi de nommer Kenza El Ghali ambassadeur au Chili. 

Ce fut la consécration d’un brillant parcours politique et d’un engagement constant pour la défense des intérêts du Maroc.

Entre temps, Kenza El Ghali avait mis à profit son mandat parlementaire pour connaître de près et adhérer à différentes institutions législatives latino-américaines. Ainsi, elle a représenté le Parlement marocain, au titre de membre observateur, successivement au sein du parlement centre-américain (Parlacen), du Forum des présidents des pouvoirs législatifs de l’Amérique centrale et des Caraïbes (Foprel) du parlement latino-américain (Parlatino) et du Parlement Andin (Parlindino).

La passion académique ne faiblit pas

Comme un chapelet, ses activités académiques se succèdent et ne se ressemblent pas. Elle est tantôt membre de l’atelier hispano-marocain de recherche sur la Méditerranée, tantôt contributrice agissante au sein du réseau africain des femmes élues et du réseau panafricain du leadership féminin.

Infatigable, Kenza El Ghali est professeur visiteur dans des universités marocaine, italienne, brésilienne et espagnole. Elle est aussi membre du groupe de réflexion hispano-marocain sur la migration et le développement et membre de la chaire de l‘Unesco sur “Migration, Développement, droit et dignité”.

Dans les milieux politique et parlementaire de Santiago, Kenza El Ghali a la réputation de savoir recevoir dans la pure tradition marocaine. Ses commensaux se nourrissent certes des mets marocains, mais aussi d’informations sur l’histoire, la culture et les traditions millénaires du Maroc et sur l’essor économique et le cap pris par le Royaume au cours des deux dernières décennies. 

Et très souvent, ses invités oublient de demander congé tellement ils sont mis à l’aise et se sentent chez eux grâce à la spontanéité de cette dame affable et généreuse.

                                

Entretien avec Kenza El Ghali

‘‘Les femmes offrent un meilleur rendement’’

Dans un entretien à BAB, Kenza El Ghali, ambassadeur de SM le Roi au Chili, un visage connu de la scène politique nationale, mais surtout une femme aux multiples casquettes, revient sur sa riche carrière et son parcours d’exception, ainsi que sur l’évolution du statut de la femme marocaine, en intégrant de plus en plus les hautes fonctions.

Kenza El Ghali, ambassadrice de Sa Majesté le Roi au Chili ©MAP/Adnane Jabir
Kenza El Ghali, ambassadrice de Sa Majesté le Roi au Chili ©MAP/Adnane Jabir

BAB: Comment peut-on passer de femme politique à diplomate avec facilité ? et quel est l’apport que pourrait avoir un homme ou une femme politique à la diplomatie marocaine ?

Kenza El Ghali: J’ai été introduite très jeune dans le monde politique et syndical grâce à mon mari. J’ai fait mes premiers pas dans cet univers en étant pleine d’ambition et en me donnant comme mission première d’aider les autres. Dès le début, aux côtés de mes consœurs du milieu scolaire, j’ai créé une association de lutte contre l’analphabétisme des femmes, avant d’élargir le champ de mes activités au cercle de Rhafsai (Province de Taounate).  

Sans l’ombre d’un doute, ma carrière dans la politique m’a beaucoup aidé à apprendre. Tout au long de mon parcours, j’ai été un touche-à-tout. J’ai pris part à des débats aux niveaux local, régional, national et international, des débats qui m’ont aidée à mieux appréhender les différentes réalités et à m’imprégner des systèmes politiques et sociaux, que ce soit en Afrique, en Asie, en Amérique ou dans le monde arabe, au gré des activités auxquelles j’assistais ou je participais. Je tiens à dire toutefois que le fait que je sois professeure m’a pertinemment forgée et m’a ouvert les yeux sur la réalité: Pouvoir entrer en contact avec les étudiants, répondre à leurs préoccupations, leur prêter main forte afin qu’ils puissent avancer, m’a non seulement permis d’apprendre sur moi-même et sur les autres, mais aussi de saisir le monde dans lequel nous vivons. 

J’en reviens à ma carrière de députée ; en plus de m’avoir permis, à travers mes voyages et mes missions, de déployer mes connaissances sur des sujets divers et variés, elle m’a aussi encouragé à aiguiser mon sens du contact, en rencontrant des politiciens de toutes les contrées du monde et particulièrement du continent latino-américain, dont des Chiliens à travers mes missions au sein du Parlement marocain, qui visaient notamment la dynamisation des relations parlementaires avec les différents parlements régionaux, comme le PARLACEN, le parlement andin, le PARLATINO, le Foprel et autres…

Je tiens à préciser aussi qu’en arrivant dans un pays, en tant que diplomate, il est fondamental d’être doté de certaines connaissances sur le pays d’accueil: sa langue, sa culture, son histoire, son passé, ses différentes sphères politiques, les différentes franges de sa société… Connaître le pays permet au diplomate de lier plus facilement des relations basées sur le respect, l’amitié et ouvre la porte à des échanges fluides et porteurs de résultats. 

Mes études, notamment ma licence qui a porté sur la problématique identitaire chez les écrivains latino-américains, a été une introduction pour moi, depuis 1986, afin de comprendre quelques réalités de ce continent et peut être une des premières initiations pour ma mission à Santiago. Et permettez-moi de vous dire que mes années dans le monde de la politique et de la diplomatie m’ont appris une chose: les deux fonctions ne sont pas tellement distinctes, au final, elles servent les mêmes causes, le seul point dans lequel elles divergent est “la manière de faire”. 

Toutes les casquettes que j’ai portées dans ma carrière professionnelle m’ont beaucoup appris, et ont accentué la volonté que j’ai toujours eue, celle de continuer à apprendre pour avancer vers d’autres expériences.   

Le Chili est votre premier poste d’ambassadeur. Quels sont les défis que présente ce pays pour un ambassadeur du Maroc ? et comment s’est faite votre adaptation au pays ?

Le Chili est mon premier poste d’affectation en tant qu’Ambassadeur de Sa Majesté le Roi, mais j’ai eu l’honneur, en tant que vice-présidente de la Chambre des Représentants entre 2011-2016  d’être reçue par l’ancienne Cheffe d’Etat, Mme Michelle Bachelet, par plus de neuf ministres, des législateurs et des politiciens, lors de mes réunions avec des députés chiliens à Santiago et presque la plupart sont devenus des amis. J’ai eu notamment l’honneur de recevoir le ministre délégué chilien des Affaires étrangères, M. Edgardo Riveros, en 2016 en tant que vice-présidente de la Chambre des Représentants. En cette l’occasion, nous avons échangé autour de plusieurs thématiques d’intérêt commun, que j’ai pu revoir avec lui en tant qu’ambassadeur au Chili.     

Pour la petite anecdote, quand j’ai présenté mes lettres de créance à la Présidente de l’époque, Mme Bachelet, elle m’avait dit sur un ton de confidence: je vous reçois maintenant comme Ambassadeur après vous avoir reçue en tant que députée.  

Toutes ces personnes, avec qui je me suis liée d’amitié, je les ai retrouvées à mon arrivée au Chili. Toutes ces amitiés que j’ai construites m’ont aidé à m’intégrer sans énormes difficultés. D’autres facteurs ont également facilité mes liens avec ces personnes, entre autres, la maîtrise de la langue et ma soif de connaissance, comme je l’ai expliqué auparavant…

Les femmes marocaines intègrent de plus en plus la carrière diplomatique. Quel bilan faites-vous de cette évolution ? et quels sont les conseils que vous donneriez aux jeunes femmes qui rejoignent le ministère des Affaires étrangères ?

Effectivement, il y a de plus en plus de femmes dans la diplomatie marocaine. Lors de tous les séminaires auxquels j’ai assisté au Chili, je me suis rendue compte que nous sommes parmi les pays qui comptent le plus de femmes diplomates. A titre d’information, au Maroc, les femmes constituent 43% des fonctionnaires du Ministère. La représentation féminine aussi bien à Rabat que dans nos missions à l’étranger a grimpé à 43%. S’agissant des postes de responsabilités, les chiffres sont passés de 13% à 28%. En 2022, 21% des ambassadeurs, des consuls et des chargés d’affaires sont des femmes, alors que 5 ans auparavant le chiffre ne dépassait pas les 13%. 

Et pour vous dire, au sein de ma mission à Santiago, j’ai toujours compté une présence féminine, et je peux attester aujourd’hui que les femmes sont des collaboratrices qui offrent un meilleur rendement. Je n’ai cependant pas de recette toute faite à offrir aux femmes souhaitant faire carrière dans la diplomatie, mais certains éléments sont importants: il faut savoir faire preuve de patriotisme et de sens de la responsabilité, car il faut le préciser, le métier de diplomate requiert une discipline. Nous représentons un Royaume qui jouit d’une renommée prestigieuse dans le monde, alors nous devons être capables de promouvoir son image de la meilleure façon qu’il soit, de défendre ses intérêts et de faire connaître sa culture et son dynamisme. Il faut en conséquence faire un travail de longue haleine sur soi et continuer à se perfectionner.

Je peux attester qu’au cours de mes années ici, j’ai beaucoup appris et je continue d’apprendre pour continuer à représenter au mieux le Royaume et être à la hauteur de la mission qui m’a été confiée par Sa Majesté le Roi, Que Dieu L’Assiste.  

Vous avez la réputation d’être une ambassadrice très dynamique au Chili où les aspects culturels occupent une grande place dans votre agenda. Pensez-vous que la culture ouvre plus de portes au diplomate que vous êtes ?

La culture est une grande porte ouverte sur la connaissance mutuelle. A travers ce soft power, nous véhiculons l’amour d’un pays, le dialogue, la compréhension et l’acceptation de l’autre. La culture nous ouvre des portes, elle nous aide à accéder à la société, à l’univers académique, aux institutions, à nous rapprocher des responsables régionaux, nationaux et autres.

En plus de la mission qui m’a été confiée, en tant qu’Ambassadeur, j’ai l’honneur de porter une deuxième responsabilité, celle de diriger le Centre Culturel Mohammed VI pour le Dialogue des Civilisations a Coquimbo, unique en son genre, dans toute l’Amérique latine, qui représente une aubaine pour faire découvrir la culture millénaire d’un pays moderne et contemporain qui a réussi à relever tous les défis et qui peut être fier des avancées qu’il a réalisées et du chemin qu’il a parcouru pour se hisser dans le concert des nations. J’ai personnellement, sous l’égide du Centre, traduit des ouvrages de l’arabe à l’espagnol et vice-versa et ce, dans l’objectif de rapprocher les cultures marocaine, chilienne et latino-américaine en général. 

Le Centre Mohammed VI fait la promotion de la culture marocaine avec toutes ses facettes dans le pays d’accréditation, mais aussi dans la région d’Amérique latine, et nous a conférés une place importante dans le paysage politique et culturel du Chili, en nous permettant d’expliquer les tenants et aboutissants de notre cause nationale et de jeter la lumière sur la véritable nature de ce conflit. Avant même d’accéder à cette responsabilité avec laquelle SM le Roi m’a honorée, je lisais régulièrement et je m’inspirais des orientations royales adressées, en plusieurs occasions, aux diplomates marocains. Des orientations qui mettent l’accent sur le sens du patriotisme, la défense des intérêts supérieurs de la nation, la contribution au rayonnement du Maroc et le devoir envers la communauté marocaine à l’étranger. 

Députée, professeure, militante istiqlalienne et Ambassadeur. Kenza El Ghali se considère-t-elle comblée par ce parcours ou a-t-elle d’autres ambitions ?

En vérité, je ne m’arrête presque jamais sur les différentes étapes qui ont émaillé ma carrière. Au fil du temps, elles se sont toutes synchronisées pour forger la personne que je suis en ce moment. Il m’est impossible de séparer la professeure, de la députée, de la militante associative, la syndicaliste, la femme politique ou l’Ambassadeur. Au bout du compte, elles n’en forment qu’une. 

Comme je ne cesse de le répéter, tant que je suis en vie et j’en ai la capacité, je continuerai à apprendre et à m’ouvrir sur le monde.