
Chaque fois qu’on évoque la copropriété au Maroc, on pense aux interminables problèmes auxquels fait face le syndic pour faire respecter les règles de gestion d’une propriété immobilière collective.
Bien que la loi régissant la copropriété soit claire et sans équivoque, la gestion de ce genre de bâtiments représente l’un des plus grands défis de l’habitat urbain, un problème qui s’aggrave sur fond d’une urbanisation galopante. Entre cotisations non honorées ou irrégulières, manque d’entretien des espaces communs et détérioration de l’état général du bâti, les problèmes sont légion.
En guise de solutions, les habitants ont recours à des sociétés de services pour gérer l’entretien des biens immobiliers communs. La capacité à contracter conférée par la loi au syndic des copropriétaires lui permet de conclure divers contrats, comme embaucher un concierge ou une femme de ménage, dont les tâches sont limitées aux parties communes, ou carrément engager une entreprise qui fournit l’ensemble de ces prestations.
Le syndic professionnel, une solution de dernier recours
L’idée a l’air d’être une solution confortable, voire une baguette magique qui mettrait fin aux nombreux problèmes qui gangrènent les copropriétés. Mais à entendre le retour d’expérience d’habitants ayant déjà eu recours aux services des entreprises de ce genre et même de syndics professionnels, le constat est moins reluisant et les problèmes n’en finissent pas pour autant.
Abdessalam, ancien syndic des copropriétaires d’un immeuble à Rabat, nous raconte ses péripéties avec une entreprise de ce genre. Le choix de passer un contrat avec un syndic professionnel a semblé être la solution qui mettrait fin au bras de fer interminable avec certains résidents qui ont décidé d’éluder le paiement des cotisations. En tant que syndic, il n’était pas question pour lui d’entrer en conflit avec les copropriétaires récalcitrants, qui sont de surcroît ses voisins, pour les amener à honorer leurs engagements malgré l’état de délabrement avancé de l’immeuble et le manque criant dans certaines nécessités comme l’entretien de l’ascenseur, l’éclairage et la propreté des couloirs et des escaliers.
Les copropriétaires se sont alors mis d’accord pour faire appel à une société de services, qui se présentait alors comme la solution alternative. Mais il n’a fallu que quelques mois après la conclusion du contrat pour que des problèmes d’une autre nature commencent à voir le jour.
D’abord, le montant des prestations de la société était très élevé, conduisant certains habitants à refuser le paiement des cotisations mensuelles, en guise de protestation contre les négligences en série constatées dans les travaux de jardinage, de gardiennage ou de nettoyage. Et pour cause, le prestataire avait des difficultés à contrôler les ouvriers affectés à ces tâches en raison de différends avec eux. Aussitôt le contrat résilié, les habitants s’en remettaient à des initiatives individuelles isolées pour gérer un tant soit peu les affaires courantes de la copropriété.
Toutefois, Abdessalam estime dur comme fer que le plus gros problème à l’origine en est la vision individualiste qu’ont les copropriétaires sur le mode de vie commun et leur difficulté à concilier vie individuelle et vie en communauté qu’implique l’habitat en copropriété. Ce nouveau mode de vie suppose une implication des habitants dans la gestion et l’entretien des installations communes de la résidence collective.
Cela dit, notre interlocuteur juge complexe la procédure légale pour recouvrer les arriérés des cotisants récalcitrants, car cela demande du temps et des efforts, outre le fait que poursuivre son voisin en justice est pour le moins qu’on puisse dire une issue inconfortable et désolante.
Le syndrome des cotisations en souffrance
Le défaut de paiement des cotisations mensuelles au syndic des copropriétaires est souvent attribuable à l’ignorance des habitants qu’il s’agit d’une obligation légale et que tout refus de s’acquitter de ce dû est sanctionné par la loi.
Certains préfèrent répéter - à tort - que tant qu’ils deviennent propriétaires du bien, ils ne sont pas tenus de payer de charges supplémentaires, ou qu’ils n’ont pas été informés lors de l’acquisition du bien des obligations qu’ils devaient respecter vis-à-vis de la copropriété, y compris les cotisations mensuelles versées à l’association des copropriétaires (syndic). Du coup, le syndic se trouve souvent acculé à saisir la justice afin d’obtenir gain de cause. Car le copropriétaire, en violant les termes du régime de la copropriété, est un cocontractant qui s’abstient d’exécuter une obligation.
Cela étant, l’origine du problème pourrait parfois être le syndic, lui-même, alimentant ainsi le mécontentement des habitants. Ceux-ci se plaindraient alors de sa manière de gestion, de violations de ses attributions, d’abus de confiance ou de comportement suspect ou non transparent, comme le refus de présenter les factures ou des justificatifs de paiement. La crise de confiance s’installe ainsi quand les résidents trouvent qu’il y a des dépenses non justifiées, des travaux inutiles ou exécutés sans consultation préalable des copropriétaires. Et c’est le début d’un cycle vicieux pour la copropriété.
Une vision novatrice de la gestion des copropriétés
D’autre part, la gestion de la copropriété devient de plus en plus compliquée du fait de l’évolution de la taille des projets immobiliers, des normes de construction et de l’aménagement d’installations communes dans les copropriétés. Un développement urbanistique qui nécessite de recourir aux services de prestataires spécialisés dans la gestion des copropriétés. Dans des résidences de grande taille, il est difficile d’organiser le budget et de suivre son exécution par un syndic issu des habitants de copropriété, ce qui rend nécessaire de contracter les services des professionnels du domaine, en particulier dans le cas des résidences disposant de jardins communs, de piscines, de salles de sport ou d’autres installations collectives.
Les charges appliquées par les syndics professionnels varient en fonction de plusieurs facteurs qui pèsent sur les tarifs, tels la taille de la copropriété, la nature des missions et les dépendances communes dont dispose la résidence. Par ailleurs, certaines nouvelles offres immobilières intègrent dans le prix de vente les frais de gestion des services communs pris en charge par des sociétés de services.
Ces facteurs ont contribué à accroître la demande sur les services des entreprises spécialisées dans la gestion de l’immobilier résidentiel. Désormais, elles sont présentes dans la plupart des grandes villes et proposent des prestations assez diversifiées. Cependant, ces entreprises sont censées répondre à des normes de qualité qui ne sont pas seulement liées aux prestations, mais aussi à leur statut juridique, administratif et technique.
Mohamed Benhaddou, directeur d’une société de gestion de copropriétés, affirme, dans une déclaration à BAB, que ces entreprises opèrent en vertu d’un contrat qui les lie aux copropriétaires, qui ont toujours un droit de regard sur l’exécution du contrat. Ils peuvent demander le remplacement d’employés dont ils n’apprécient pas le rendement ou le comportement, exiger une amélioration de la qualité des prestations ou en proposer d’autres.
En revanche, M. Benhaddou fait constater que ces sociétés font face, à leur tour, à un problème majeur dans la gestion des copropriétés, celui du non-paiement par certains habitants des cotisations mensuelles qui leur sont dues, obligeant, en fin de compte, la société à les poursuivre en justice pour en obtenir le recouvrement. Les sanctions légales résultant de ce genre d’affaires peuvent aller jusqu’à la saisie du bien immobilier du copropriétaire abstentionniste qui ne lui sera restitué qu’après le paiement des arriérés.
M. Benhaddou, qui exerce dans ce domaine depuis 20 ans, fait état d’une demande croissante sur ce type d’entreprises ces dernières années, et aussi d’une forte concurrence entre elles, tant au niveau des prestations que de celui des tarifs appliqués, ce qui a conduit à une amélioration de l’organisation et des structures de ces entités.
Relation de délégation et non de contractualisation
La multiplicité de ces entreprises et de leurs services soulève d’autres questions sur la nature de leurs missions réelles. Car elles ne sont pas chargées d’exercer des prestations dans les logements individuels de la copropriété, ni de prélever les contributions mensuelles des résidents et non plus de convoquer ces derniers à assister aux assemblées des copropriétaires. Par conséquent, le rôle du syndic issu des copropriétaires reste présent et requis, conformément au contrat dans lequel les habitants devraient stipuler les missions de l’entreprise prestataire.
Me Lahcen Farahi, avocat au barreau de Casablanca, explique, pour sa part, qu’il est possible de se passer de l’association des copropriétaires en cas de contrat avec ces sociétés, notant que la loi prévoit la possibilité de désigner le syndic en dehors des copropriétaires. Il peut alors s’agir d’une personne physique ou morale exerçant la gestion immobilière en profession libérale.
De ce point de vue, le contrat entre les copropriétaires et l’entreprise ne peut pas être conclu exclusivement entre celle-ci et le syndic. Selon Me Farahi, les copropriétaires peuvent voter en assemblée générale pour désigner le syndic en la personne d’une entreprise. Il s’agit alors d’une désignation (délégation) et non d’une contractualisation.
Selon M. Farahi, ces sociétés ne sont pas suffisamment réglementées par la loi n° 18-00 relative au statut de la copropriété des immeubles bâtis. Elles y sont désignées comme des entreprises exerçant la gestion immobilière en profession libérale, mais le législateur n’a pas prévu des dispositions spécifiques en ce qui les concerne.
Comment donc les copropriétaires peuvent-ils garder le contrôle sur la qualité des prestations des sociétés de gestion et prévenir tout problème avec elles à l’avenir? Peuvent-ils lui exiger des missions comme convoquer les résidents à l’assemblée générale des copropriétaires et prélever les cotisations? Notre interlocuteur relève que “les copropriétaires, lorsqu’ils votent à la majorité pour désigner l’entreprise en lieu et place du syndic, doivent lui spécifier les missions à accomplir. Ils peuvent même la charger d’exercer des hypothèques sur les biens des copropriétaires en défaut de paiement”.
Pour éviter les conflits, les copropriétaires sont censés faire consigner dans le procès-verbal de vote toutes les missions attribuées à l’entreprise de gestion et lui exiger par écrit, par exemple, de saisir les copropriétaires avant d’engager une action en justice contre un résident en défaut de paiement. Dans le cas où l’entreprise ne respecterait pas ces dispositions, les copropriétaires peuvent la congédier, comme c’est le cas avec un syndic. Ainsi, poursuit l’avocat au barreau de Casablanca, la relation entre les copropriétaires et l’entreprise est une relation de délégation et non de contractualisation et, de ce fait, elle est régie par les dispositions pertinentes du Dahir des obligations et contrats. En somme, le paiement des charges par les copropriétaires est de loin le plus grand des problèmes de la copropriété au Maroc. Une fois résolu, tous les autres problèmes vont disparaître. Du coup, il n’est pas question de remettre en cause le texte légal ni de penser que la solution se résume à la nature juridique du syndic (personne physique ou morale). La société de gestion n’est pas une solution ou un problème en soi, tout dépend des termes du contrat ou de la relation de délégation qui la lie aux copropriétaires.
Cela dit, les problèmes de la copropriété ne sont-ils pas le reflet de notre malaise à gérer le commun au sein de notre société ?