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Les quatre grands ratages de ‘‘Zéro Mika’’

Meriem Rkiouak
Les sacs en plastique ont la peau dure ©DR
Les sacs en plastique ont la peau dure ©DR
Cinq ans après l’entrée en vigueur de la loi dite “Zéro Mika”, la recette de réforme ne prend pas. En cause, quatre grandes tares: l’informel qui n’adhère pas, des alternatives peu séduisantes, une fraude non maîtrisée et une forte dépendance culturelle au plastique jetable.

Des campagnes de contrôle qui se raréfient, des centaines d’ateliers clandestins à peine cachés dans les exploitations agricoles et les banlieues et des montagnes multicolores de sacs en plastique dans les décharges et les cours d’eau… Finalement, la loi 77-15 dite “Zéro Mika” portant interdiction de la fabrication, de l’importation, de l’exportation, de la commercialisation et de l’utilisation de sacs en plastique, a-t-elle été jetée à la poubelle ? L’ambitieux plan de l’ex ministre de l’industrie et du commerce Moulay Hafid Elalamy pour l’éradication de cette récalcitrante matière toxique, qui a démarré sur les chapeaux de roue en 2016, n’aura-t-il donc été qu’une utopie, une vue de l’esprit ?

Entre 2016 et 2021, beaucoup d’eau et des flots de plastique ont coulé sous les ponts. Hormis la grande et moyenne distribution qui ont définitivement rompu avec la “mika” (une victoire à mettre à l’actif de MHE), le plastique à usage unique est présent partout, sous toutes ses formes et couleurs (sauf le noir considéré comme le plus nuisible, une seconde petite victoire). Chez les épiciers et les marchands ambulants, la “mika” est presque un produit de première nécessité, étant le type d’emballage le plus résistant et le plus pratique.

L’informel ne suit pas

Une enquête de l’ONG marocaine “Zéro Zbel” sur l’usage des sacs en plastique au Maroc, publiée en juin 2018, fait savoir que 60% des commerçants interrogés déclarent que plus de 80% de leurs clients exigent des sacs en plastique.

La société civile n’est pas la seule à contester le bilan de “Zéro Mika”. Un constat partiel d’échec émane du département de tutelle himself. Sur son site Internet, le ministère de l’Industrie et du commerce relève que “l’utilisation de sacs interdits persiste dans les souks et le commerce ambulant et non organisé qui s’approvisionnent auprès de réseaux clandestins et de la contrebande”.

Or, ce sont ces circuits informels qui pèsent lourd dans le marché des sacs en plastique, les grandes surfaces, les supérettes et les épiceries ne représentant que la partie visible de l’iceberg. Sans assécher les sources du mal, à savoir les manufactures clandestines qui alimentent le marché quotidiennement, toute stratégie de lutte n’aura qu’un impact limité. 

“On était pourtant sur la bonne voie avec des saisies et des démantèlements quasi-hebdomadaires, des amendes infligées sans faute aux contrevenants… Mais dernièrement, on remarque que cet élan collectif a baissé d’intensité et que l’étau s’est desserré autour du plastique interdit”, indique à BAB Abderrahim Ksiri, coordonnateur de l’Alliance marocaine pour le climat et le développement durable.

Pour lui, “nul n’ignore d’où vient ce matériau très visible dans les commerces ni par où il transite. Le vrai problème se situe au niveau de l’application de la loi: les autorités doivent en finir avec le laisser-aller et le laisser-faire et sévir avec fermeté contre les hors-la-loi. Nous avons parcouru pas mal de chemin dans notre guerre contre les sacs en plastique et il serait bien dommage d’abandonner en cours de route”

Les sacs tissés et non tissés: solution ou nouveau problème ?

Le deuxième grand ratage de “Zéro Mika” n’est autre que les produits alternatifs. Quand on veut éradiquer une denrée aussi populaire ou changer une habitude si bien enracinée, le premier réflexe serait de mettre en place une alternative convaincante, la nature ayant horreur du vide. Or, dans le cas d’espèce, l’alternative se fait toujours attendre. Les produits “palliatifs” mis sur le marché, en l’occurrence les sacs tissés et non tissés et les sacs en papier, ne séduisent pas.

Grâce au fonds d’aide à la reconversion, le volume de production des sacs non tissés est passé de 1,8 à 3,2 milliards d’unités et celui des sacs tissés de 1 à 1,2 milliard durant la deuxième année de mise en œuvre de la loi. Pourtant, ils n’ont eu qu’un succès modéré auprès des Marocains qui s’en servent à leur façon: les emplettes sont emballées séparément dans trois ou quatre sachets en plastique, puis le tout est ramassé dans un sac en tissu.

Selon l’enquête de “Zéro Zbel”, 65% des clients déclarent utiliser entre 5 et 15 sacs en plastique à chaque fois qu’ils font leurs courses. L’objectif “Zéro Mika” peut attendre jusqu’au 4ème millénaire !

Si ces emballages alternatifs n’ont pas les faveurs des consommateurs, c’est parce qu’ils sont trop légers et peu solides: faute de contrôle, les sociétés productrices ne respectent pas souvent les normes techniques fixées en ce qui concerne l’épaisseur et le grammage. On se retrouve en fin de compte avec des sacs de piètre qualité qui ne peuvent être réutilisés.

D’après les personnes sondées par l’ONG marocaine, les trois principaux freins à l’usage des alternatives sont leur prix trop élevé, la difficulté pour les consommateurs de changer leurs habitudes, et le fait que les alternatives disponibles ne sont pas assez pratiques. Les produits humides (poisson, viande, volaille, olives, citrons confits, huile…) sont les principaux produits pour lesquels il manquerait des alternatives pratiques, indique-t-on.

Résultat: le marché est inondé en milliards de sacs qui n’ont pratiquement aucune utilité, à part celle mentionnée plus haut.

Ceci dit, des différences sont à relever entre le commerce organisé et celui informel. Une étude menée par des chercheurs marocains et mexicains dans des marchés formels et informels de Rabat et publiée en 2021, révèle que près de 45% de ceux qui font leurs achats sur les marchés populaires (quotidiens et hebdomadaires) préfèrent les sacs en plastique contre 55% qui ont opté pour les alternatives. De plus, 40 % des clients qui achètent chez des marchands ambulants préfèrent également les sacs en plastique, contre quelque 24 % des clients des supermarchés.

Les auteurs en déduisent que “l’interdiction a bien fonctionné dans le secteur formel où des alternatives coûteuses aux sacs en plastique sont disponibles, mais elle a échoué dans le secteur informel, y compris les marchés urbains et populaires où les sacs en plastique jouent un rôle important dans les transactions commerciales”.

Même sur le plan écologique, ces sacs sont loin d’être un bon choix. Ils sont certes dégradables en deux mois, mais ils sont à base de polypropylène, une forme de plastique plus facilement recyclable. Le hic, c’est qu’en l’absence d’une filière et d’une infrastructure dédiées, un faible pourcentage est recyclé. Quant à la réutilisation, elle n’a pas encore intégré la culture de consommation des Marocains. Donc, à défaut de trouver une solution, on aura créé un fardeau de plus pour l’environnement !

Les alternatives plus durables ne manquent pourtant pas: les fibres naturelles, la balle de riz, le caoutchouc naturel voire les produits artisanaux comme le panier en osier revenu à la mode.

L’essentiel est de les démocratiser côté prix et de mettre à la disposition des consommateurs les renseignements leur permettant de faire des choix éclairés. 

La fraude et la contrebande, attention danger !

Tous ces risques ne valent pas grand-chose comparés au danger que représentent les sacs en plastique issus de la contrebande. C’est cette dernière qui explique, en partie, que le polyéthylène, matière première des sacs en plastique à usage unique, continue à circuler librement sur le marché noir, bien qu’il soit soumis, en vertu de la loi 77-15, au régime des licences d’importation pour garantir qu’il fasse l’objet d’une utilisation exclusivement industrielle.

“Comment ça se fait que des unités clandestines aient encore accès à cette matière et continuent à desservir le marché ?”, s’interroge Bouazza Kharrati, président de la Fédération marocaine des droits du consommateur.

Le département de tutelle a une réponse précise à cette question. “Le recours à des matières premières alternatives a été constaté lors des contrôles effectués qui ont mis en évidence l’utilisation par les unités clandestines de plastique récupéré dans les décharges, ainsi que de matières premières hautement toxiques et nuisibles à la santé servant à la base à la production d’emballages de produits industriels divers”, selon un bilan présenté en 2018, à l’occasion du 2ème anniversaire de l’entrée en vigueur de la loi dite “Zéro Mika”.

En plus de la contrebande, le polyéthylène nourrit un trafic pas moins pernicieux: il s’agit de deals frauduleux passés entre des fabricants clandestins de sacs en plastique et des opérateurs industriels. Ainsi, en décembre 2018, sept entreprises industrielles opérant à Casablanca ont vu leurs autorisations d’approvisionnement en cette matière suspendues parce qu’elles alimentaient des ateliers clandestins de fabrication des sacs plastiques interdits, situés à Had Soualem et Mohammedia.

Certainement, ces 7 entreprises sont l’arbre qui cache la forêt et ce n’est pas ce coup de filet orphelin qui va stopper le commerce illégal du mauvais plastique. 

Pour en finir avec ce trafic qui met en péril la santé des consommateurs, “la fédération plaide pour le renforcement du système de traçabilité de manière à ce que les entreprises soient acculées à justifier les stocks de plastique dont elles disposent et les usages qui en sont faits”, insiste M. Kharrati dans une déclaration à BAB.

Une forte résistance sociale

Dans “Zéro Mika”, le consommateur semble être le maillon manquant. En guise de sensibilisation, il n’a eu droit qu’à des capsules reprises en boucle par les médias de masse concomitamment au lancement de l’opération, avec un seul leitmotiv: la “mika” est dangereuse pour l’environnement et “Kayen ma H’ssen” (il existe mieux comme alternative, Ndlr).

Un travail de fond s’impose pour persuader les Marocains de couper le cordon ombilical avec la “Mika” et apprendre à vivre sans ce matériau très nocif.

“Il faut faire valoir le fait que la pollution plastique n’est pas uniquement un fléau pour l’environnement, mais une problématique multidimensionnelle qui affecte directement les citoyens sur divers plans: santé, cadre de vie, agriculture, pêche, tourisme…”, indique Abderrahim Ksiri. Bouazza Kharrati, de son côté, préconise un changement des habitudes de la part des consommateurs qui doivent développer une culture de réutilisation des sacs tissés et non tissés ou encore de tri à la source des déchets ménagers. 

A l’occasion de la journée mondiale du consommateur (15 mars 2021), l’ONG Consumers International a lancé un appel “Break Free From Plastic”, invitant les consommateurs à “réévaluer leurs habitudes de consommation pour minimiser l’utilisation de plastique, refuser le plastique inutile lorsque cela est possible et exiger plus de durabilité alternatives des entreprises et des gouvernements, réduire la quantité de plastique qu’ils achètent et prolonger la durée de vie des produits en plastique en les réutilisant”.

Selon l’ONG, sept commandements ou règles d’or (7R) sont à appliquer pour recouvrer l’indépendance du plastique: repenser, refuser, réduire, réutiliser, recycler, réparer et remplacer.

Au final, donner un nouveau souffle à “Zéro Mika” n’implique pas de remettre les compteurs à zéro. Il s’agit plutôt de capitaliser sur les acquis de taille cumulés pendant les cinq dernières années pour rectifier le tir en fixant un nouveau cap et en adoptant une approche plus inclusive des opérateurs industriels et des consommateurs.

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