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L’Islam de France, une crise de représentativité

Par Jalila Ajaja
Pour les musulmans de France, le paysage cultuel a besoin d’être clarifié ©MAP/EPA
Pour les musulmans de France, le paysage cultuel a besoin d’être clarifié ©MAP/EPA
Peu représentatif, le Conseil français du culte musulman est en pleine transformation. Son président est déterminé à le “libérer” de l’emprise des fédérations qui n’ont plus la cote auprès du corps électoral. La tendance est vers la création de conseils départementaux pour plus d’ouverture du CFCM sur les communautés musulmanes.

Le Conseil français du culte musulman (CFCM) traverse une grave crise interne qui pourrait conduire, selon les observateurs, à son implosion. Une crise qui intervient dans un contexte de réforme de l’Islam de France, ardemment souhaitée par le Président Emmanuel Macron, mais qui peine à aboutir.

Créé en 2003 sous l’impulsion de l’Etat français, le CFCM demeure son interlocuteur privilégié sur le culte musulman. Mais, cet organe, sans cesse épinglé pour son manque de représentativité et pour son système de cooptation qui permet à des fédérations de siéger en son Conseil d’administration, alors qu’elles n’ont pratiquement plus le soutien du corps électoral, vit à l’heure actuelle au rythme de dissensions et de divisions qui augurent d’un imminent éclatement.

Au cœur du conflit, le refus, en janvier dernier de deux fédérations turques - le comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF) et la communauté islamique du Millî Görüș (CIMG), de signer “la charte des principes de l’islam de France”. Ce texte poussé par Emmanuel Macron dans sa lutte contre le séparatisme réaffirme entre autres la “compatibilité” de la foi musulmane avec la République.

 

A qui profite la fronde?

 

Le 17 mars 2020, le bureau du CFCM tient une réunion pour nommer un nouvel aumônier national des prisons, qui impliquait la participation de ces deux fédérations turques.

Aussitôt, quatre fédérations sur les neuf qui composent le CFCM saisissent ce “prétexte” et décident de quitter le bureau exécutif du CFCM au motif qu’y siègent les deux fédérations turques, non signataires de la charte.

Les quatre fédérations: la Fédération Française des Associations Islamiques d’Afrique, des Comores et des Antilles (FFAIACA), la Fédération de la Grande Mosquée de Paris (FGMP), Les Musulmans de France (MF) et le Rassemblement des Musulmans de France (RMF), annoncent par la suite la mise en place d’une “Coordination” qui a pour objectif de “mener une réflexion approfondie pour la refondation de la représentation du culte musulman en France pour mieux servir les Musulmans de France”.

Mais le vrai meneur de cette fronde est le recteur de la Mosquée de Paris, l’Algérien Chems-Eddine Hafiz, dont le dessein inavoué est de mettre à l’arrêt le CFCM, pour s’ériger en nouveau représentant de l’islam de France.

 

La départementalisation pour clarifier le paysage cultuel

Mohammed Moussaoui, président du CFCM depuis janvier 2020, a immédiatement dénoncé cette initiative. Le franco-marocain accuse ces quatre fédérations de vouloir “paralyser le CFCM”.

Dans un entretien à BAB Magazine, M. Moussaoui reconnaît que le CFCM traverse une crise tout en proposant des solutions réalistes pour s’en sortir.

Il réaffirme également sa volonté de poursuivre la réforme du CFCM et de mettre fin aux velléités de certaines fédérations de vouloir mettre le CFCM sous tutelle, une autre raison à l’origine de l’agitation de ses détracteurs.

Mohammed Moussaoui estime aussi que la crise que traverse le CFCM pourrait lui être bénéfique, en ce sens qu’elle pourrait accélérer la départementalisation du culte musulman pour permettre aux pouvoirs publics d’avoir des interlocuteurs sur le terrain.

Il a plaidé dans ce contexte pour “redonner un nouveau souffle à la représentativité du culte musulman”, en opérant une réforme de fond du CFM pour qu’il devienne “une véritable instance représentative du culte musulman ouverte sur tous les musulmans”.

“Le projet de réforme du CFCM, qui prévoit la création de conseils départementaux du culte musulman et la nécessité de faire émerger l’instance nationale via ces conseils loin de l’emprise d’une poignée de fédérations, s’avère aujourd’hui plus que jamais un objectif à atteindre dans les mois à venir”, affirme M. Moussaoui qui plaide aussi pour l’abolition du système de cooptation qui permet à des fédérations de siéger en son conseil d’administration, alors qu’elles n’ont pratiquement plus le soutien du corps électoral, comme c’est le cas des quatre fédérations dissidentes.

Besoin d’interlocuteurs “stables et reconnus”

 

Pour lui, “maintenant, il faut refaire le CFCM différemment”. Et “pour cela”, plaide son président, partisan d’une réforme partant de l’échelon départemental, il faut “accélérer la création de nouveaux Conseils départementaux du culte musulman (CDCM), partout sur le territoire, et faire émerger une nouvelle instance représentative, libérée de l’emprise des fédérations”.

Une piste privilégiée également par les pouvoirs publics en France.

Selon les médias du pays qui citent l’entourage du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, ce dernier s’apprête à lancer des Assises de la départementalisation du culte musulman.

Ce processus, que le ministre de l’Intérieur voudrait voir engagé d’ici l’été, visera à favoriser une structuration locale des représentants des mosquées pour en faire des interlocuteurs reconnus et stables des pouvoirs publics. Mais avec le blocage au sein du CFCM, le processus de clarification du paysage cultuel musulman semble peiner à trouver son envol et le chantier de réforme de l’Islam de France n’est pas pour aboutir de sitôt.w