
“Les efforts ne se perdent jamais, à condition d’avoir de grands projets dans la vie, une forte conviction et une méthode pour les concrétiser”. Les mots sont de l’ambassadeur du Royaume au Saint siège, Rajae Naji Mekkaoui, qui a tracé son chemin avec amour, persévérance et abnégation au service de la patrie. Elle est diplomate lucide, pénaliste chevronnée, universitaire innovante et écrivaine engagée…
Femme de toutes les premières
Le 4 novembre 2003…, la date restera gravée dans la mémoire de la juriste. Vêtue d’une djellaba et d’un voile blancs immaculés, dans une atmosphère ramadanesque mystique empreinte de miséricorde et de bénédiction, Mme Naji Mekkaoui anime une causerie religieuse devant le Commandeur des croyants, SM le Roi Mohammed VI. Une première pour une femme au Royaume.
Le thème n’était autre que le premier verset de la sourate Annisa’a (Les Femmes) dans lequel Allah dit : “Vous les hommes ! Craignez votre Seigneur qui vous a créés d’un seul être, puis de celui-ci, Il a créé son épouse et Il a fait naître de ce couple un grand nombre d’hommes et de femmes. Craignez Dieu ! - Vous vous interrogez à Son sujet - et respectez les entrailles qui vous ont portés. Dieu vous observe”. Alliant foi et savoir, la professeure, également première femme marocaine à obtenir un doctorat d’Etat en droit privé, présente une étude comparative sur la conception de la famille entre les sciences sociales modernes et le Droit Musulman. “Jamais une telle expérience n’a eu lieu auparavant… C’était une première, non seulement dans le monde islamique, comme croit la plupart, mais aussi dans le monde entier, toutes religions confondues”, affirme la diplomate à BAB avec un sourire furtif associé à un regard modeste, aussitôt ravivé lorsqu’elle évoque le génie d’Amir Al-Mouminine. Dans un ton emprunt de fierté, elle explique à quel point la décision de SM le Roi était “audacieuse, avant-gardiste, pionnière et circonspecte, notamment dans un contexte où les femmes étaient écartées des sphères publiques dans le monde islamique”. L’événement a eu un impact, à tout le moins, “révolutionnaire”, assure-t-elle.
Depuis, les nominations s’en suivent, notamment en tant que membre du Conseil Supérieur des Ouléma, membre de la Commission Royale pour la révision de la Constitution et membre de la Haute Instance pour la réforme de la Justice.
Et quinze ans après, c’est sur cette juriste et universitaire émérite que le choix du Souverain s’est porté pour représenter, en tant qu’ambassadeur, le Royaume au Saint-Siège, le cœur battant de la première religion de la planète. Là encore, une véritable première.
Une mission prédestinée
La photo fait la Une des médias au Maroc mais également au Vatican. Portant un caftan noir majestueux en velours brodé en fil d’or et une écharpe de dentelle drapée sur la tête, la nouvelle diplomate présente, avec un sourire radieux, ses lettres de créances au Pape François le 26 septembre 2019. Début d’une mission, dont l’heureuse élue maîtrisait les outils.
La tolérance, le dialogue interreligieux et la coexistence n’étaient pas nouveau pour cette native de Ouazzane (Dar Dmana), ville des grands maîtres du soufisme et de science, dont son père le grand Alim et Mouhtassib Sidi Mohammed Naji, et destination sainte pour des centaines de juifs marocains qui s’y rendent annuellement pour prier et célébrer la Hiloula. Le bagage culturel lui, non plus, ne manquait pas.
“L’aspect culturel occupe une place prépondérante dans la diplomatie Vaticane”, fait savoir l’ambassadeur, soulignant que la mission au Saint-Siège nécessite une connaissance des autres cultures, une maîtrise du dialogue interculturel et un solide background académique.
Ainsi, le diplomate peut élucider, avec beaucoup de délicatesse et sagesse, le monde occidental et corriger certains stéréotypes négatifs, relève cette assoiffée de lecture. Pour le moment, ce sont les livres d’histoire, particulièrement nationale, qui la passionnent. “Quand on ne connaît pas suffisamment son histoire, on ne peut pas se projeter bravement dans l’avenir”, insiste-t-elle vivement avant de plonger dans la nostalgie.
“C’est grâce à mon parrain, mon idole et mon ami, qui n’est autre que mon Père Alim encyclopédique, que j’ai appris à aimer la science, la recherche et la multidisciplinarité”, confie cette férue du savoir avec une voix qui cache mal son émotion.
Un savoir qu’elle n’hésitera pas à partager avec générosité pendant toute sa carrière de professeur dans plusieurs établissements de renom, notamment la Faculté de Droit à l’Université Mohamed V, l’Institut Supérieur de Magistrature et Dar El Hadith Al Hassania, et dans les plus prestigieuses des Universités, de la taille de Harvard. Le sujet fait étinceler ses yeux noisette.
“La recherche et l’enseignement sont l’air que je respire et mon bonheur le plus alléchant”, commente l’universitaire, évoquant un enchantement qu’elle n’abandonne pas malgré sa mission actuelle.
Sous de vifs applaudissements, l’ambassadeur quitte l’estrade à la fin d’une rencontre à l’université pontificale du Saint-Siège sur les valeurs sûres de l’Islam et le modèle marocain en matière de promotion de paix et de tolérance. Elle se dirige juste après vers la foule de chercheurs qui la félicitent chaleureusement pour l’éloquence de son plaidoyer. Une scène familière pour la diplomate qui ne cesse de multiplier les conférences et les débats depuis son accréditation au Saint-Siège. Outre le partage de son savoir, elle vise à faire rayonner le leadership du Royaume, terre de diversité et de fraternité. Tel est son objectif ultime.
Une égérie du pluralisme et de la richesse marocaine
Des grands discours aux réceptions dans sa résidence, passant par les petits détails de l’art vestimentaire marocain…, elle ne rate, d’ailleurs, aucune occasion pour mettre en avant le pluralisme et la richesse de l’identité chérifienne.
Outre son fameux voile en dentelle de Chantilly ou de Malines plié légèrement ou ouvert sur les côtés, à l’image de la parure préférée des andalousiennes “La Mantille”, cette femme élégante veille à porter autant que possible des pièces traditionnelles, mettant en avant la finesse, la créativité et le savoir-faire unique du Maalem marocain.
Même avec ses tenues les plus modernes, une touche du pays s’impose, telle qu’une impériale Bornos en “Mlifa”. Sa favorite en temps d’hiver.
Fière et admirée par la splendeur de sa culture, elle n’hésite, également, pas à faire découvrir à ses invités des pièces traditionnelles originales, des plats authentiques et des chefs d’œuvres de la musique classique marocaine.
Un dévouement sans faille qui lui a valu une multitude de consécrations marquantes. “Quand c’est le Souverain lui-même qui vous décore, par la plus haute distinction, je pense qu’il n’y a guère de plus sublime”, affirme-t-elle avec beaucoup d’émotion. Et quand vous êtes dans le pays d’accréditation, poursuit la diplomate, et vous recevez aussi la plus haute distinction qui existe, on ne peut que s’enorgueillir, dans la modestie bien entendu, poursuit cette battante, dont le parcours brillant n’était, tout de même, pas sans difficulté.
Elle a, d’ailleurs, appris à les affronter très tôt. Orpheline de mère à l’âge de 9 ans, elle devient une maman à ses cinq sœurs et frères, dès lors. “Quand la personne perd sa maman, elle perd pratiquement tout : tendresse, soin attentionné, sécurité, enfance et joie… Toutefois, depuis mon bas âge, j’ai appris à transformer les embarras en défis!” Selon cette femme de fer, l’orphelinat peut se convertir en source d’autonomie, d’autogestion, de développement de moyens de défense, de personnalité robuste et de planification de schéma d’avenir.
Mère de quatre enfants, Mme Naji Mekkaoui souhaite que son parcours difficile puisse servir, si ce n’est de modèle, du moins de dynamisme qui peut changer le sort de plusieurs personnes traversant des moments pénibles.
Entretien avec Rajae Naji Mekkaoui
‘‘Présence féminine marquante dans la scène diplomatique’’

BAB: Le Royaume renforce la présence des femmes dans le corps diplomatique et consulaire. Quel est l’apport des femmes diplomates ?
Rajae Naji Mekkaoui: Effectivement, la présence féminine dans le corps diplomatique marocain est marquante et avoisine les pourcentages enregistrés dans le Nord, bien que loin, dans le monde entier, de la parité en termes d’accès aux postes de responsabilité.
Les femmes ont prouvé leur compétence et succès dans tous les domaines, il n’y a nul doute qu’elles puissent faire de même en diplomatie.
Comment qualifiez-vous les relations entre le Maroc et le Saint-Siège ?
Deux jours avant de rejoindre le poste, on m’a soufflé dans l’oreille que le terrain était nivelé en raison du grand succès de la visite papale. A mon arrivée, j’ai trouvé l’environnement beaucoup plus propice que ce qu’il en a été décrit, grâce au respect et à l’admiration du Pape envers la personne de SM le Roi Mohammed VI et les affirmations qu’il a faites sur les avancées du Maroc et sur les relations bien ancrées et étroites entre les deux pays.
Des relations qui remontent au 12ème siècle, et qui furent couronnées par des échanges de visites, les premières entre le Saint-Siège et un pays Musulman, entre un Chef d’Etat Musulman (Feu Hassan II, le 2 avril 1980) et le Souverain Pontife (Pape Jean Paul II, le 19 août 1985).
Quels sont les moments les plus forts vécus jusqu’ici dans le cadre de votre mission ?
Ils sont très nombreux, mais je me limiterai aux diverses audiences que j’ai eues, exceptionnellement, avec le Pape François. Toutes les fois où je l’ai rencontré, il ne cesse de réitérer, par ses paroles, ses regards, et ses gestes, un émerveillement extraordinaire envers SM le Roi, envers l’institution d’Imarat Al-Mouminine, qu’il découvre, a priori, pour la première fois et considère comme institution unique au Monde, à même de protéger tous les croyants, notamment en Afrique. Aucun mot ne peut décrire mon émotion face à cette haute considération continue de notre pays et notre Souverain.
Vous êtes auteur de plusieurs ouvrages, quelle est votre relation avec l’écriture ?
C’est une vocation qui émergea très tôt. A peine, je commence le professorat, l’envie d’écrire m’envahit, après une courte résistance, j’ai suivi mon penchant, mais avec mesure et méthodologie. Outre mes livres, j’ai collaboré avec des grands tirages qui atteignent facilement le summum. Environ 140 mille exemplaires s’épuisaient avant la mi-journée le jour de la publication de mes chroniques. Ce fut une bouffée d’encouragement inépuisable. Les besoins, les révérences et les attentes des lecteurs ont transformé la vocation en devoir. Malheureusement, le temps ne suffit jamais pour transcrire ses idées sur papier. Mais le flambeau est là.
Quel est le secret de votre succès et votre message pour les femmes ?
Je n’aime pas trop la ségrégation, donc mon message va à tous. En fait, il n’y a pas de secret. Ce sont les mêmes ingrédients de toute réussite : Volonté, positivité, persévérance, dynamisme et bonnes méthodes et méthodologie.