
Souriya Otmani occupe le poste d’ambassadeur du Maroc au Canada depuis 2018. Ce poste de premier plan à Ottawa est le couronnement d’une longue et riche carrière diplomatique.
“Je m’enorgueillis d’avoir une longue et passionnante carrière de diplomate”, confie cette native d’Essaouira en 1956 qui se définit comme “éternelle optimiste”.
Au départ, son rêve était d’enfiler la robe noire d’avocate sauf que l’objection du père, “le destin”, selon elle, en a voulu autrement.
Après une licence en droit et sciences juridiques de l’Université Mohammed V de Rabat, la jeune femme entame son service civil au ministère de l’Éducation nationale.
Entrée dans la diplomatie par la grande porte
Entrée sur concours en 1985 au ministère des Affaires étrangères et de la coopération internationale, en qualité de secrétaire des Affaires étrangères, Souriya Otmani y fait toute sa carrière. Avec passion et dévouement, elle gravit toutes les échelles.
Être diplomate est “assurément une chance unique et surtout une opportunité très formatrice qui forge votre caractère, élargit et enrichit vos horizons”, dit-elle.
En 2001, elle a été nommée chef de la division des Privilèges et Immunités diplomatiques, relevant de la Direction du protocole du même ministère. En 2004, elle a occupé le poste de consule générale du Royaume à Montréal au Canada.
En 2011, c’est la grande consécration avec sa nomination comme ambassadeur du Maroc en République Tchèque. Son amour pour la culture lui a valu notamment le Prix international 2017 de la culture de la Mairie de Prague, une capitale où elle a servi jusqu’en 2018.

Souci du détail et perfectionniste
Pour cette maman d’une fille, le Maroc a beaucoup gagné en favorisant la pleine mise en œuvre de l’égalité des genres dans la sphère publique. “Des signaux positifs” à travers la désignation de femmes dans les hautes fonctions sont toujours nécessaires tant au plan national qu’au niveau des organisations internationales.
En diplomatie, elle estime que les femmes ont le souci du détail et “l’obsession” d’accomplir leurs tâches du mieux possible.
Souriya Otmani juge que la diplomatie moderne a “grandement évolué” avec le développement et la sophistication des moyens et des technologies de communication, mais des ingrédients indispensables restent toujours valables. Elle en cite la modestie et la dignité, l’ouverture d’esprit et l’écoute, le sens de la communication, la bonne connaissance de son environnement de travail, ou encore le sang-froid devant certaines situations. En somme, les secrets d’une longue carrière réussie.
Entretien avec Souriya Otmani
‘‘Féminisation concrète de la diplomatie marocaine’’
Dans cette interview, Mme Souriya Otmani, ambassadeur de Sa Majesté le Roi au Canada, revient sur son “long et passionnant” parcours au sein du ministère des affaires étrangères et les avancées du Maroc en matière d’accès des femmes à la carrière diplomatique, tout en mettant en avant les atouts et les particularités de la femme ambassadeur.

BAB: Pourquoi avez-vous choisi le métier de diplomate?
Souriya Otmani: Je m’enorgueillis d’avoir une longue et passionnante carrière de diplomate et c’est pourquoi on me pose souvent la question de savoir si c’est moi qui ai choisi la diplomatie ou est-ce la diplomatie qui m’a choisie ? En fait, c’est plus le hasard qui décide pour vous ! Étant jeune, mon rêve était de devenir avocate, mais Feu mon père, en toute bonne foi et sans doute en conformité avec les us et coutumes de l’époque, m’avait convaincue de m’orienter vers une autre carrière car selon lui, “les tribunaux n’étaient pas un endroit que devaient fréquenter les femmes !”. Grâce à Dieu, les mentalités ont bien évolué dans notre pays et je me réjouis de voir le nombre impressionnant de talents féminins, avocates, juges, magistrates et autres personnels auxiliaires de la justice, qui officient aujourd’hui auprès de nos tribunaux. Ainsi et une fois en possession de ma licence de droit décrochée à l’Université Mohammed V à Rabat, j’ai tout naturellement passé un des concours de la Fonction publique marocaine qui m’a permis rejoindre le ministère de la coopération internationale, lequel sera intégré en 1985 au ministère des Affaires étrangères.
Parlez-nous des principaux postes que vous avez occupés durant ces dernières années ?
Être fonctionnaire au sein du Ministère des affaires étrangères est assurément une chance unique et surtout une opportunité très formatrice qui forge votre caractère, élargit et enrichit vos horizons, vous donne la possibilité de connaître le monde et de vivre des expériences professionnelles et humaines extraordinaires. Ayant toujours évolué au sein du Département qui traite de la coopération multilatérale (avec les organisations régionales et internationales), j’ai eu le privilège de prendre part à de nombreuses conférences et activités internationales, que ce soit au sein de l’Organisation des Nations Unies à New York ou encore à Vienne, la capitale autrichienne où j’ai servi mon pays, de 1995 à 1998, en qualité de chef de mission adjoint, avant de rejoindre notre Ambassade à Stockholm, en Suède jusqu’en 2001 pour y occuper la même position.
Je retournerai à cette même date au Maroc pour occuper au sein de notre ministère, le poste de Chef de division au Protocole jusqu’en 2004, date à laquelle je serai appelée à exercer les fonctions de Consule Générale du Royaume du Maroc à Montréal jusqu’en 2011. Puis, j’ai eu l’immense honneur et le privilège d’être nommée par Sa Majesté le Roi, que Dieu L’assiste, Ambassadeur de Sa Majesté à Prague, la capitale de la République Tchèque de 2011 à 2018. Durant mon mandat de diplomate à Prague, j’ai eu l’insigne honneur et l’immense privilège d’être le témoin de la visite historique qu’y a effectuée Sa Majesté le Roi en mars 2016. Je serai de nouveau nommée en 2018, Ambassadeur de Sa Majesté le Roi à Ottawa, au Canada, un pays que je connais bien et dans lequel j’évolue encore aujourd’hui.
Comment évaluez-vous les avancées du Maroc en matière de parité dans la carrière diplomatique?
La question des femmes en diplomatie est liée à une autre thématique qui est plus globale et qui se rapporte à la pleine mise en œuvre de l’égalité des genres dans la sphère publique. On doit se féliciter à cet égard de l’adoption de la résolution par les Nations Unies faisant du 24 juin de chaque année la journée internationale des femmes en diplomatie. Une tel événement permet de souligner les accomplissements et aussi de faire de nouvelles recommandations pour aller de l’avant en la matière.
Il est notoire que la diplomatie a été durant très longtemps et dans presque tous les pays du monde “une affaire d’hommes”. A l’exception de la période où Feue SAR la Princesse Lalla Aicha avait été nommée Ambassadeur de Sa Majesté le Roi à Londres, puis en Grèce, puis en Italie entre 1965 et 1973, le Maroc n’échappait pas à la règle, aucune femme ne pouvait rêver ou prétendre il y a seulement un quart de siècle accomplir une carrière diplomatique, ni être Ambassadeur ou chef de mission diplomatique! Mais il y a lieu de se réjouir des extraordinaires changements sociaux opérés durant toutes ces dernières années. Le Maroc poursuit aujourd’hui une politique d’égalité des genres non seulement en diplomatie mais dans toutes les sphères de la vie politique. Nous avons en la Personne de notre Auguste Souverain, que Dieu L’assiste, un ardent défenseur et promoteur de la condition de la femme marocaine. Sa Majesté croit en les talents et en les capacités des femmes et Sa Majesté le prouve à chaque jour en leur confiant des postes de haute responsabilité. Nous nous enorgueillissons d’avoir des femmes Oulémas, Mourchidates, on a des femmes gouverneurs et Walis…Nos consœurs sont ainsi présentes dans tous les secteurs de l’activité économique, dans les sphères de la vie politique, au gouvernement, au parlement et dans les mairies. Beaucoup d’efforts ont été faits et continuent de l’être pour améliorer et promouvoir les droits de la femme : de multiples textes de lois, des stratégies, des programmes et des plans ont été adoptés et mis en pratique: je pense au code de la famille, à la Constitution de 2011 qui consacrent tous deux l’égalité homme-femme, au code du commerce qui supprime l’autorisation du mari pour la femme qui exerce une activité commerciale, au code de la nationalité qui permet à la femme de transmettre sa nationalité à son enfant né de père étranger… Je pense aussi à tous les efforts entrepris tant par le gouvernement que par le secteur associatif pour lutter contre toutes les formes de violences faites aux femmes…
Qu’en est-il aujourd’hui de la présence des femmes ambassadeurs dans le corps diplomatique et consulaire ?
Si nous comparons la situation dans laquelle vivaient nos mères et nos grands-mères, il y a seulement quelques dizaines d’années, on se rend effectivement compte du grand chemin parcouru en matière d’éducation et de développement socio-économique de la femme surtout depuis l’indépendance du pays. Puisque vous interviewez une diplomate, il faut aussi se féliciter de la place importante qu’occupent désormais les femmes marocaines dans la diplomatie et de leur apport considérable dans le domaine. A la date d’aujourd’hui, les femmes dans la diplomatie marocaine représentent 43% de tout le personnel du ministère des Affaires étrangères. Il y a une “féminisation” concrète de la diplomatie marocaine. Sur les cinq dernières années et si je me fie aux statistiques en ma possession, la représentation féminine au sein du Ministère des Affaires étrangères et au sein de nos missions diplomatiques et postes consulaires s’est accrue de 39% à 43% et 41% du personnel de nos Missions diplomatiques sont des femmes! En 2017, seulement 13,5% des Ambassadeurs, Consuls et Chargés d’affaires étaient des femmes. Ces chiffres ont grimpé à 21% en 2022. Actuellement, sur 101 chefs de missions diplomatiques, 19 sont des femmes. Plusieurs de mes consœurs et collègues sont Ambassadeurs de Sa Majesté dans des capitales prestigieuses et importantes telles que Washington, Madrid, Berlin, Adis-Abeba, ou encore Luanda, etc. Nous n’avons plus rien à envier aux pays occidentaux et il apparaît donc clairement qu’il y a une volonté au plus haut niveau de l’État d’impliquer les femmes dans la diplomatie et aussi de bénéficier de leurs talents et de leur apport considérable en la matière.
Si je puis me permettre et tout en rendant un vibrant hommage au travail considérable accompli au quotidien par nos collègues Ambassadeurs masculins dans les multiples sphères de la vie diplomatique, les femmes Ambassadeurs surtout arabes et musulmanes, selon ma propre expérience, jouissent d’une manière générale d’un a priori favorable et d’un appui non négligeable de la part des autorités de leurs pays d’accréditation si tant est que le pays en question place l’égalité des genres et la parité dans ses priorités nationales!
Les femmes diplomates ont le souci du détail et “l’obsession” d’accomplir leurs tâches au mieux possible. Leur contact avec les femmes Ministres, les femmes parlementaires et à d’autres hauts niveaux de responsabilité est rendu, me semble-t-il, plus aisé.
A Ottawa par exemple, nous sommes plus de 30 femmes Ambassadeurs, ce qui nous donne accès à quelques privilèges (rencontres avec la Gouverneure Générale et la Chef de la diplomatie du Canada qui sont aussi des femmes) auxquels n’ont pas droit les collègues masculins accrédités dans la même capitale! L’approche, la perception et l’analyse du fait politique ainsi que les recommandations des femmes Chefs de missions diplomatiques peuvent aussi différer de celles des hommes et avoir une certaine valeur ajoutée…
Y a-t-il des particularités au travail diplomatique ?
Quand vous exercez le métier de diplomate, vous vous devez d’être un modèle dans tout ce que vous faites, car vous représentez votre Roi et votre pays, vous êtes détenteur d’une très haute confiance et de très grandes responsabilités. Alors peu importe le lieu, l’environnement, la capitale, le pays dans lequel vous êtes affecté, vous vous devez d’avoir une grande disponibilité, d’honorer au quotidien et de la meilleure manière qui soit, la confiance placée en vous ainsi que vos fonctions de représentant du Maroc. Il y a certes des pays et des interlocuteurs plus agréables que d’autres, il y a des moments et des situations qui peuvent être difficiles et compliquées, mais cela ne doit nullement être un prétexte ou un obstacle à vos performances professionnelles.
La modestie et la dignité, l’ouverture d’esprit et l’écoute, le sens de la communication et le don de pouvoir nouer des contacts, la bonne connaissance de son environnement de travail, la volonté d’apprendre, la courtoisie et le sang-froid devant certaines situations, une bonne et rapide capacité d’analyse et de réaction sont aussi, à mon sens, certaines des qualités indispensables pour être un bon diplomate.
Je suis moi-même une grande optimiste par nature et j’essaye toujours de prendre les choses du bon côté et de trouver des solutions aux multiples problèmes et contrariétés qui peuvent surgir dans le cadre de mon travail au quotidien. Ce qui fait que je m’investis de tout cœur et avec toutes mes capacités dans mes fonctions, quelles qu’elles soient. J’ai ainsi pu apprécier mes nombreuses expériences diplomatiques et essayé d’en tirer le meilleur pour mon pays.
Quelles sont les contraintes de la carrière diplomatique pour une femme ?
Que ce soit pour un homme ou pour une femme, chef de mission diplomatique, la vie de diplomate est aujourd’hui assujettie à de multiples défis : les choses sur le plan international évoluent rapidement et nous devons faire face aux nombreuses crises et guerres qui ont lieu dans plusieurs régions du monde. Nous sommes témoins de l’émergence de nouvelles puissances, le monde fait toujours face à des menaces globales et transfrontalières telles que l’extrémisme, le terrorisme, les crises économiques, la migration, le déplacement des populations à cause des guerres et des conflits, les changements climatiques et les pandémies qui ont impacté les vies de millions de personnes. Les diplomates se doivent d’avoir une bonne connaissance et une bonne compréhension de tous ces enjeux et de leur impact et interaction possibles sur les relations bilatérales avec le pays d’accréditation.
La diplomatie moderne a aussi grandement évolué avec le développement et la sophistication des moyens et des technologies de communication. Les distances se sont raccourcies de nos jours rendant la profession de diplomate encore plus exigeante du fait qu’elle traite précisément d’une multiplicité et d’une complexité de sujets. Je crois que nous sommes un peu comme les journalistes qui doivent faire du travail de terrain, des investigations et aussi des prévisions!
Outre ces défis professionnels, les femmes chefs de missions diplomatiques doivent aussi faire face à des défis personnels communs à toutes les femmes qui travaillent, et qui est celui de concilier vie de famille et travail. Cette contrainte souvent majeure a fait renoncer bien des femmes à une brillante carrière diplomatique. Qu’il soit permis ici de rendre un vibrant hommage aux conjoints des femmes Ambassadeurs pour tout l’appui inestimable qu’ils nous apportent au quotidien!
S’engager dans la diplomatie pour les femmes restera toujours, bien sûr, une question de choix personnel et de carrière, mais il est évident que nos dirigeants politiques peuvent toujours améliorer la situation en nommant plus de femmes Ambassadeurs. Ces dernières ont aussi le devoir d’épauler de jeunes femmes diplomates en partageant avec elles leurs expériences positives et en les encourageant à poursuivre une carrière dans ce domaine. Il serait aussi peut-être bon que de forts signaux viennent aussi d’organisations mondiales telles que l’ONU pour nommer des femmes à des hauts postes de diplomatie préventive par exemple, de maintien de la paix et de résolution des conflits. L’inspiration se nourrit des modèles et des success stories !