
Loger chez l’habitant, ça se pratique depuis la nuit des temps ! Chez les Marocains en particulier, l’hospitalité est sacrée et n’importe quel voyageur fatigué se voyait offrir le gîte et le couvert à la porte où il frappait. Aujourd'hui, ils sont plusieurs à mettre en vitrine leurs propriétés, en partie ou en entier, à des prix réduits, dans des plateformes 2.0 assez séduisantes et surtout accessibles dans les quatre coins du monde.
BAB magazine a mené une enquête sur cette nouvelle façon de voyager pour tenter de percer les secrets de cette réussite fulgurante. Nous sommes allés à la rencontre de ces touristes qui délaissent les chambres d’hôtels. Nous avons essayé de pénétrer l’intimité de ces petits propriétaires qui bénissent le jour où “Airbnb” et confrères sont entrés dans leur vie. Mais il faut dire aussi que la nouvelle tendance ne fait pas le bonheur de tous.
Montée en force des plateformes de réservation en ligne
Airbnb, Booking, Expedia et autres sont des plateformes de location entre particuliers qui ont révolutionné le secteur touristique s'imposant comme un plan incontournable pour s'évader à prix mini et profiter des plus attrayantes métropoles internationales.
Au Maroc aussi, du nord au sud en passant par Rabat ou Casablanca, de nombreux propriétaires louent leurs biens atypiques avec des designs authentiques ou à l'européenne pour permettre à leurs clients de se loger de façon originale à contre pied des standards hôteliers.
A l'échelle africaine, le Maroc figure parmi les destinations les plus prisées par les utilisateurs d'Airbnb, géant des sites de location de vacances. Le pays se range à la deuxième place, derrière l'Afrique du Sud, apprend-on d'un rapport du site, publié l'année précédente, au sujet de l'impact de son activité en Afrique.
En effet, l'activité Airbnb a permis d'injecter 61 millions de dollars dans l'économie marocaine en 2017. Plus de 295.000 personnes ont foulé le sol marocain pendant cette année à travers des réservations dans l'un de ces 21.000 logements que compte la communauté Airbnb dans le pays.
A côté de l'hébergement, ces sites diversifient leur offre à travers ce qu'ils appellent “Expériences”. Ce sont en fait des activités, créées et animées par les propriétaires les plus passionnées. Il proposent davantage que des visites ou des cours classiques en offrant aux voyageurs une totale immersion dans l'univers unique d'un hôte.
Le groupe néerlandais Booking, classe, pour sa part, le Maroc à la tête des destinations préférées du continent surtout en matière d'“Expériences”.
Cette plateforme de réservation de logement en ligne affiche le Royaume au premier rang des expériences recommandées pour l'été 2019. On retrouve, par exemple, “l'expérience Marrakech” décrite avec raffinement comme “un labyrinthe de marchés colorés aux produits traditionnels et aux arômes exotiques”. Loin des statistiques et des estimations des plateformes, le secrétariat d'état chargé du Tourisme avait indiqué que le nombre de touristes a connu une hausse de 14% l'an dernier alors que les nuitées (dans les établissements classés) n'ont augmenté que de 8%.
Explication: Une partie non-négligeable des touristes préfère héberger chez des particuliers ou dans des auberges, gîtes ou riads non répertoriés, notamment via Airbnb et ses confrères, plutôt que de réserver dans des établissements classés.

Séjour opportun à rabais
Autour d’un couscous dans un restaurant authentique de Rabat, BAB a rencontré un groupe de trois amies espagnoles: Emilie, Matilda et Caty qui viennent passer un séjour de trois jours dans un hébergement “Airbnb” à Rabat avant de se diriger vers Assilah.
“On est passées par leur plate-forme pour la première fois en 2016 en Italie, puis au Danemark, en Islande, et tout s’est toujours très bien déroulé. On était plus que satisfaites”, affirme Matilda, qui réserve avec ses amies une petite maison au quartier Oudayas avec une magnifique vue sur mer.
“Une chambre d’hôtel correcte est généralement hors de prix (surtout l’été, encore plus si c'est près de la mer). Dans ce cas, Airbnb représente une chouette solution pour profiter d’un appartement ou d’une maison toute entière, avec une cuisine, un salon, une ou plusieurs chambres, surtout si vous voyagez en groupe. Le calcul est vite fait: Il est beaucoup plus intéressant de partager le prix d’un logement Airbnb plutôt que de réserver plusieurs chambres d’hôtel”, souligne-t-elle.
De son côté, son amie Emilie se réjouit de l’idée même de louer l’appartement de quelqu’un d’autre et passer en mode “local”. “Je vais faire mes courses, je vais au marché, je me promène, je cuisine comme à la maison et je fais ma petite vie comme si c’était chez moi ! Chaque nouvelle location Airbnb est une nouvelle aventure pour moi !”, se réjouit-elle.
En effet, la crise économique a rendu les utilisateurs plus vigilants à leur pouvoir d’achat: On continue à voyager, mais les priorités en termes de dépenses ne sont plus les mêmes. Ainsi, de récentes études ont prouvé que 70% des voyageurs Airbnb dépensent pendant leur séjour l’argent économisé sur les frais d’hébergement, permettant aux consommateurs de séjourner plus longtemps: 5,2 nuits en moyenne contre 2,3 nuits pour les irréductibles amateurs de l’hôtellerie.
Des revenus alléchants
Louer son appartement via ces nouvelles plateformes de location est de plus en plus tendance. Les revenus potentiels sont en effet très alléchants, notamment dans les grandes villes.
Devenir hôte “Airbnb” ou autres permet d'augmenter facilement ses revenus surtout si on dispose d’une propriété vacante. En facturant à la nuit, les réservations peuvent fluctuer, mais les hôtes peuvent gagner encore plus d’argent s’ils savent comment gérer et promouvoir leur logement correctement.
Locataire d'un appartement de 90m2 à quartier l'Océan de Rabat, en face de la mer, Houssam s'est inscrit l'année dernière sur la plate-forme d’hébergement “Airbnb” suivant les conseils de son ami.
“Mon ami Adil m’a beaucoup parlé du concept d’Airbnb. Il est parti vivre chez ses parents, consacrant ainsi son appartement à la location saisonnière via ce site depuis 2009, ce qui lui a permis d'épargner une bonne assise d'argent”, explique le jeune homme, à BAB.
“Diplômé mais sans fonction stable, j'ai pu grâce à Airbnb arrondir mes fins de mois. Depuis une année, je loue à la nuitée une chambre dans mon appartement qui me permet de couvrir le loyer et les charges fixes. C’est une façon simple de générer un complément de revenu. Il suffit de prendre quelques bonnes photos, créer une annonce sur le site et puis attendre les premières réservations”, se réjouit-il. Houssam, en comparant les autres annonces sur le site, a tablé sur 35 euro par nuit pour réserver sa chambre qui n'a rien à envier aux chambres d'hôtel de moyenne gamme.
Ce jeune homme rbati semble s'impliquer dans son petit business et ne se contente plus d'Airbnb. D’apprenti loueur, il compte bien devenir un “serial loueur” en passant par d'autres sites.

Les interfaces de location 2.0 deviennent ainsi un super plan pour générer un complément de revenu assez facilement puisque cela demande beaucoup moins d’efforts contrairement à un travail de salarié. L'hôte construit un actif au fil du temps et des commentaires positifs qui s’accumulent sur son annonce. Ces vétérans de la location journalière ont donné également naissance à un nouveau métier d'intermédiaire entre les propriétaires et les clients et ont permis de faciliter le travail de nombre d’agences immobilières. Il suffit de se doter d’un bon compte Airbnb ou booking garni de commentaires favorables pour se lancer dans un business juteux sans pour autant avoir de local. C’est le cas de Anouar, qui louait chez lui pendant plus de 7 ans, mais une fois marié ce n’était plus possible. Usant de ses anciens comptes “Booking” et “Airbnb”, le jeune marié a pris en charge la location saisonnière de quatre appartements en plein centre ville de Rabat veillant sur le séjour du client de A à Z.
“Le téléphone sonne en permanence, à toute heure du jour comme de la nuit. Souvent ce sont des touristes qui ont un problème avec le Wi-Fi, des ampoules ou encore des bouteilles de gaz vidées. Je m’occupe de tout afin de gérer au mieux la location d’appartements que des particuliers m’ont confiés”, souligne-t-il. “Je sous-vends la gestion logistique aux propriétaires car ils ne peuvent pas toujours s’occuper des locations”, précise Anouar.
Secteur informel, pas de loi
En dépit des multiples avantages de ce nouveau mode de location de voyage, il semble pourtant fâcher une large catégorie de touristes déçus, de riverains et de professionnels du domaine touristique.
Séjourner chez un inconnu ou en inviter un chez soi comporte évidemment un risque. Les chambres d’hôtel sont standardisées pour être sûres, gérées par du personnel et souvent onéreuses. Les locations Airbnb et autres, elles, ne sont soumises à aucune régulation, elles sont éclectiques et peu coûteuses et les standards de sécurité commencent à peine à se matérialiser.
“L’appartement était juste insalubre. C’était très sale, les toilettes étaient dans un état catastrophique, et pire, les photos n’avaient aucune relation avec la réalité”, s’indigne Ilan, un touriste français accompagné de sa petite famille qui avait réservé un appartement via un site internet pour une semaine. “Une fois sur place c’était la surprise, mais c’était trop tard pour voir ailleurs vu que c’était un samedi. Du coup, la plupart des hébergements de la capitale n’était plus disponibles”, note-t-il, ajoutant qu’à la fin de leur séjour, sa femme avait choppé une infection et son petit enfant a eu des démangeaisons partout à cause de la literie.
Sur le même ton, les habitants locaux des quartiers les plus fréquentés par les touristes semblent en colère. “Principalement à cause des nuisances sonores, mais surtout des ordures. Un vrai problème. Les touristes laissent leurs poubelles n’importe où en quittant leur appartement. Notre environnement, lui, a beaucoup changé depuis la multiplication de ce type de locations et l’afflux de touristes en général”, nous fait part Fatima, qui habite à l’ancienne médina de Rabat à proximité de plusieurs maisons et riads destinés à la location via internet. “Ce qui est terrible, c’est qu’aucun de ceux qui tirent un énorme bénéfice du trésor n’habite là. Nous, vrais habitants, ne profitons que des nuisances: Le bruit, la saleté et la hausse des loyers”, avertit-elle.

“Concurrence déloyale” avec le secteur formel
Au Maroc, les riads à prix cassés sur les plateformes d'intermédiation suscitent également la colère des professionnels du secteur, qui dénoncent une “concurrence déloyale”. Hôtels et agences de voyages se plaignent! Ce nouveau mode d'hébergement à la mode n'augure que de mauvais présages, selon nombre de professionnels.
Les hôteliers estiment souvent qu’Airbnb leur fait de l’ombre et leur prend massivement des clients, alors que les bénéficiaires de ce nouveau marché n’ont aucune obligation légale vis à vis ni de l'État ni d’un personnel recruté. “Ces sites ont tout bouleversé et nous ont privé d’une grande part du marché d’une manière déloyale”, réclame Ahmed, responsable dans un hôtel de trois étoiles à Rabat, ajoutant que “cet établissement s’est retrouvé dans l’obligation de collaborer avec ces plateformes contre des commissions supplémentaires dans le but de préserver un flux correct de clients”. C’est la tendance aussi ! On retrouve les chambres d'hôtel à la tête des offres d’hébergement d'Airbnb, Booking, Expedia et autres. Une concurrence rude qui a imposé à la prestigieuse chaîne hôtelière de s'aligner à ses confrères et déposer leurs hébergements en ligne.
“Et oui! Une obligation pour s’adapter à la nouvelle génération, nous avouons notre impuissance face au rouleau compresseur Airbnb et autres: Ces sites de réservation en ligne dictent désormais leur loi à l’industrie hôtelière”, souligne le responsable.
Pour leur part, les agences de voyages commencent aussi à souffrir avec le lancement de nouveaux sites, notamment “Expedia”, qui propose tout le pack: Hébergement, billet d’avion et location de voiture avec ou sans chauffeur ! Semble-t-il que ces nouvelles plateformes révolutionneront tout l’engrenage de l’industrie hôtelière, qui se retrouve obligée de revisiter et moderniser son offre et surtout ses actions de promotion.