
Alors que près d’un quart des Américains s’identifiaient comme des évangéliques en 2006, seuls 14,6% de la population américaine se définissent comme tel selon le Recensement de 2020 sur la religion aux États-Unis mené par l’Institut de recherche sur la religion publique (PPRI).
Cette baisse spectaculaire des adhérents à cette mouvance religieuse très présente aux États-Unis intervient dans un contexte de scandales et de crises multiples auxquels les églises évangéliques ont été confrontées ces dernières années.
Mais d’abord, qu’est-ce qu’un évangélique? Contrairement aux Catholiques qui, en la figure du Pape, voient une autorité religieuse suprême, la croyance évangélique n’a rien d’un bloc monolithique; elle abrite plusieurs groupes allant des baptistes aux méthodistes avec différents "porte-paroles" charismatiques qui haranguent les foules dans un but commun et avec une interprétation littérale de la Bible.
D’après l’Association nationale des évangélistes (NAE), un chrétien doit fortement partager quatre préceptes pour s’identifier comme un évangélique:
- La bible est la plus haute autorité pour mes croyances;
- Il est très important pour moi personnellement d’encourager les non-chrétiens à faire confiance à Jésus-Christ comme leur Sauveur;
- La mort de Jésus-Christ sur la croix est le seul sacrifice qui puisse supprimer le châtiment lié à mes péchés;
- Seuls ceux qui se confient en Jésus-Christ seul comme leur Sauveur reçoivent le don gratuit de Dieu, le salut éternel.
“Au fond, les évangéliques chrétiens sont des croisés médiévaux”, explique le pasteur Rodney W. Kennedy dans un essai publié récemment dans la publication spécialisée “Baptist News Global”.
Une quête de pouvoir comme dogme
Profitant de la sacro-sainte liberté de culte octroyée par la constitution américaine, le mouvement évangélique a su bâtir, au fil des décennies, un véritable univers parallèle d’universités, d’églises, d’écoles et de séminaires pour façonner la vision des générations d’évangéliques dont le but est d’asseoir la domination de leurs églises sur l’Amérique, d’une part, et de l’Amérique sur le monde, de l’autre.
“Un enfant évangélique peut atteindre l’âge adulte en n’ayant pratiquement aucun contact avec le monde extérieur”, écrit M. Kennedy, expliquant que “les évangéliques pensent que tant qu’ils ne sont pas aux commandes, la nation est sur la voie de l’enfer”.
Par conséquent, les évangéliques sont dans une quête perpétuelle de pouvoir politique, ce qui les place en confrontation directe avec les progressistes incarnés par les démocrates.
Dans ce contexte, l’arrivée de Donald Trump a été une aubaine pour les évangéliques qui se sont massivement ralliés à lui. Selon le Pew Research Center, huit évangéliques blancs sur dix (78%) soutenaient Donald Trump au début de sa présidence, un chiffre qui a légèrement diminué à 69% en 2019.
Cette alliance, qui perdure encore, n’aurait pourtant jamais dû voir le jour. Trump est, de l’avis de nombreux pasteurs, loin d’être considéré comme un modèle de la rectitude morale tant prêchée par les évangéliques. Ces derniers avaient en effet clamé haut et fort lorsque l’affaire Lewinsky avait éclaté que le locataire de la Maison Blanche devait tenir un comportement irréprochable.
Jerry Falwell Jr, l’ex-président déchu de Liberty University, l’une des plus grandes universités évangéliques et chrétiennes du monde, a bien résumé ce dilemme lorsqu’il a apporté son soutien indéfectible à Donald Trump.
“Les conservateurs et les chrétiens doivent cesser d’élire des ’gentils’. Ils pourraient faire de grands leaders chrétiens, mais les États-Unis ont besoin de combattants de rue comme Donald Trump à tous les niveaux du gouvernement, car les fascistes libéraux que sont les démocrates jouent le tout pour le tout et de nombreux leaders républicains sont une bande de mauviettes !”, a-t-il tonné, il y a quelques années, sur Twitter.
Cette sortie sans ambiguïté n’a pas manqué de susciter des réactions acerbes, de la part du propre camp de Falwell. Ce dernier s’est retrouvé au cœur d’un scandale de mœurs rocambolesque dans lequel il est impliqué au côté de sa femme et d’un autre homme. Ce scandale lui vaut d’être poursuivi en justice par Liberty University, qui lui réclame des millions de dollars en dommages et intérêts.
Une mouvance à l’épreuve des scandales et des crises
En 2021, Russell Moore, l’un des évangéliques les plus influents et les plus respectés d’Amérique, a publié une lettre qui a eu l’effet d’un véritable séisme au sein de sa communauté. Moore était le président de la Commission pour l’éthique et la liberté religieuse, l’organe politique de la Convention baptiste du Sud (SPC), la plus grande dénomination protestante des États-Unis. Dans la lettre, Moore, un fervent opposant à Donald Trump, a dénoncé des tentatives de la part des dirigeants de la Convention de faire taire les victimes d’abus sexuel et d’entretenir des préjudices racistes.
“Évangélique désignait autrefois les personnes qui revendiquent la supériorité morale ; maintenant, dans l’usage populaire, le mot est presque synonyme d’hypocrite”, a écrit notamment Timothy Keller, l’un des évangéliques les plus influents au monde, dans le New Yorker en 2017. Les dissensions intestines des évangéliques ont été particulièrement exacerbées par la pandémie de Covid-19.
“La pandémie de coronavirus a, bien entendu, mis les communautés religieuses à rude épreuve. (…) Le fait de ne pas être en communauté a déstabilisé ce qui a longtemps été un sentiment central de l’identité chrétienne”, a expliqué dans The Atlantic Peter Wehner, dans un article intitulé “L’église évangélique se désagrège”.
En août 2021, Daniel Darling, le porte-parole du National Religious Broadcasters (NRB), qui représente les stations évangéliques de radiodiffusion ainsi que les ministères qui fournissent du contenu à ces médias, a été licencié après avoir exhorté les Américains à se faire vacciner contre la Covid-19 lors d’un passage sur MSNBC.
Ces nombreux scandales font ressortir l’image d’un mouvement terni et en déphasage avec une Amérique largement séculaire. Un constat partagé par le président de l’institut de sondage chrétien Barna Group, David Kinnaman, qui a décrit à The Atlantic l’année écoulée comme une “épreuve” pour les pasteurs en raison de la fragmentation des églises.